L'adoption de la Constitution a ravivé instantanément la compétition à distance entre le président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaâfar, et le président provisoire de la République Moncef Marzouki. Cette compétition a pour objet le poste qu'occupe Marzouki aujourd'hui et que Ben Jaâfar, lui, a toujours convoité. Toutes les apparitions et les initiatives de l'un ou l'autre, depuis l'adoption de la nouvelle constitution le 26 janvier 2014, ont pour objectif de s'accaparer la paternité de la Constitution et de se placer, par conséquent, dans la course pour la présidence. Certes, selon les résultats concordants des derniers sondages d'opinion, Marzouki et Ben Jaâfar sont encore loin, très loin même du leader du Nidaa, Béji Caïd Essebsi. Mais les prochaines élections présidentielles ne se dérouleront qu'à la fin de l'année, une éternité en terme électoral, et beaucoup de choses peuvent intervenir dans l'intervalle pour changer les tendances actuelles. Ceci est d'autant plus vrai que le parti islamiste d'Ennahdha n'a pas, du moins pour le moment, un candidat aux présidentielles. L'ancien chef du gouvernement Hamadi Jebali, même s'il se trouve parmi les personnalités accréditées de quelques points dans les sondages, reste fortement handicapé par sa position minoritaire au sein de sa propre formation et par une présence intermittente sur la scène publique. Ennahdha, qui n'a pas montré jusque-là un intérêt particulier pour le poste de président de la république, serait peut-être tenté par une alliance électorale, touchant uniquement les élections présidentielles, avec ses anciens alliés de la troïka. En multipliant les apparitions, le président de l'ANC occupe le terrain, met en exergue son rôle dans l'adoption de la nouvelle Constitution et se place en prévision des prochaines élections présidentielles. En vérité, on pourrait critiquer le président de l'ANC sur plusieurs points, mais on ne peut qu'admettre que sa décision de suspendre les travaux de l'ANC en août dernier est une décision courageuse et salvatrice. Par cette décision, Ben Jaâfar a contribué à apaiser les esprits et à créer les conditions de la reprise des travaux de l'Assemblée constituante pour finalement arriver à l'adoption de la nouvelle Constitution. De là à crier sa paternité de la constitution comme s'est empressée de le faire la députée Lobna Jeribi, c'est aller un peu vite en besogne. Elle n'est malheureusement pas la seule dans l'entourage de Ben Jaâfar à atteindre des degrés d'empressement qui frisent le ridicule. Ceux qui lui ont conseillé de s'afficher dans un encart publicitaire sont autant panégyriques et lèche-bottes. Flanqué de ses deux vice-présidents de l'ANC, Meherzia Laâbidi et Arbi Abid, Mustapha Ben Jaâfar apparaît comme un nostalgique des conceptions archaïques qui rappellent les publicités à l'occasion des fêtes nationales sous Ben Ali ou bien encore les publicités élogieuses des régimes de dictature dans certains pays arabes et asiatiques. De son côté, le président provisoire Moncef Marzouki a multiplié les initiatives depuis l'adoption de la nouvelle constitution même si ces initiatives ont l'allure d'un mauvais remake. Après la cérémonie de signature de la nouvelle constitution le 27 janvier dernier, la présidence de la république a organisé dans l'après-midi même une cérémonie festive. Quelques jours après, le 7 février, elle organise une deuxième cérémonie pour exactement les mêmes motifs. Qu'importe si l'organisation est approximative ou si le choix de la date manque de tact, l'essentiel c'est que le président provisoire ne cède pas de terrain devant son concurrent et revendique sa part de paternité dans la Constitution que ni lui, ni son parti politique, le CPR, n'ont réellement soutenue. En clair, sans attendre l'adoption de la loi électorale, ni la fixation de la date des prochaines élections, Marzouki et Ben Jaâfar se sont déjà engagés dans leurs campagnes électorales. Ils ne sont pas les seuls : Béji Caïd Essebsi, Néjib Chebbi et les autres sont, depuis des mois, dans une campagne permanente, au détriment de tout et de tous. L'ISIE, la HAICA et toutes les autres instances d'observation, d'organisation et de régulation des élections ont du pain sur la planche.