Par Marouen Achouri J'allais écrire une chronique sur la police tunisienne, ses défauts et son rapport avec le nouveau pouvoir. J'ai commencé à le faire jusqu'à ce que la nouvelle tombe vers 11h30. Trois hommes ont attaqué le journal satirique Charlie Hebdo à l'arme automatique et ont fait 12 morts et plusieurs blessés. Parmi les morts, il y a les dessinateurs Charb, Cabu, Wolinski et Tignous. On pourrait dire que cette attaque ne fait pas partie de l'actualité tunisienne, que nous avons d'autres soucis graves et que plusieurs de nos soldats sont aussi morts. C'est vrai. Mais l'attaque de ce matin a, certes visé le journal français Charlie Hebdo, mais elle a aussi atteint tous les défenseurs des libertés, tous ceux qui écrivent, dessinent, diffusent ou commentent. Ces gens ont été exécutés à bout portant à cause de simples dessins. Des dessins qui ne plaisent pas à tout le monde, qui suscitent des polémiques et des colères, mais ça reste des dessins ! Rien ne peut justifier un acte d'une telle violence, d'une telle barbarie. On a choisi de ne pas diffuser la vidéo du meurtre du policier devant le siège de Charlie Hebdo mais nous l'avons regardée. La rédaction est sous le choc et on ne peut comprendre les motivations d'un tel acte. Les assassins ont crié : « Nous avons vengé le prophète ». Tant de bêtise et d'ignorance sont non seulement révoltants mais aussi désarmants. Comment considérer ces gens là ? Sur quelle base pouvons-nous comprendre et assimiler pour essayer de réparer ? Quel triste prophète pensez-vous venger en perpétrant un tel acte ? Ce qui est sûr c'est que ce n'est pas le prophète de l'Islam ! S'il existe un prophète qui pourrait se délecter de la mort de douze personnes, il ne mérite pas d'être vénéré. Comme en Tunisie on commence à s'habituer aux morts et aux martyrs, on peut considérer les victimes de Charlie Hebdo de ce matin comme des martyrs de la liberté d'expression. Bien sur, leur liberté ne plait pas, elle dérange puisque ce n'est pas la première fois que Charlie Hebdo est attaqué. Aujourd'hui, Charlie a payé le prix de cette liberté et c'est un prix trop cher. Douze vies ont été prises, des dizaines de familles détruites, un pays et une profession choqués, des millions de personnes touchées par l'horreur de cet acte. Une grande tristesse nous a envahis en apprenant la terrible nouvelle et nous avons décidé de traiter cet attentat comme s'il était arrivé sur notre sol. La raison est simple : c'est une attaque contre l'humanité, contre ce que nous avons de plus noble. Cette attaque dépasse les nationalismes et touche à l'essence même de l'universalité. Les assassins ont aussi crié : « Nous avons tué Charlie Hebdo ». Bêtise donc, encore une fois. Tant qu'il y aura des personnes habitées par la liberté, Charlie Hebdo vivra. Ses meilleurs représentants sont tombés sous les balles de l'ignorance, de la bêtise et de la vindicte, mais il y en a d'autres. Ce n'est pas uniquement le deuil de la presse française mais aussi celui de la presse mondiale. C'est un douloureux hommage qui devra leur être rendu, mais le combat contre la bêtise et l'ignorance, avec pour armes les plumes et les dessins, reprendra. Les mots ne suffisent pas pour dire l'horreur de cet acte mais ils ont suffit à le provoquer. Nous sommes de tout cœur avec Charlie Hebdo. Nous pleurons la perte de ces douze personnes qui ne faisaient que leur travail. Aujourd'hui est un jour de tristesse et d'horreur.