La présence « timide » d'Ennahdha au pouvoir aujourd'hui ne serait qu'un sacrifice. Un grand renoncement accompli par le parti islamiste dans l'unique souci de privilégier l'intérêt national. C'est ce qu'on peut lire dans un article publié par le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, dans lequel ce dernier revient sur la « grandeur » du parti islamiste. Un parti qui a préféré « quitter un pouvoir mérité afin de sauver le pays de la perdition». « Ce n'était pas notre premier sacrifice et ce ne sera certainement pas le dernier », écrit Rached Ghannouchi dans un article publié sur le site d'Al Jazeera en date du jeudi 11 février 2015. Dans cet article, le président d'Ennahdha explique que les néophytes pourraient ignorer « l'importante opération de sauvetage du Printemps arabe tunisien et de l'expérience démocratique » opérée par son parti. Selon lui, le pays se dirigeait vers une dangereuse confrontation entre le pouvoir, incarné notamment par Ennahdha, et l'opposition que représente Nidaa Tounes. Un choc entre les deux premières forces politiques tunisiennes qui aurait pu conduire au même schéma observé aujourd'hui par des expériences similaires, à l'instar de l'Egypte. Ennahdha a ainsi sauvé le pays de cette catastrophe en créant « l'exception tunisienne ». Dans cet article adressé aux détracteurs du parti islamiste, à ses partisans déçus de le voir s'incliner face à ses adversaires, mais aussi à l'opinion internationale, Ghannouchi expose une image chevaleresque d'Ennahdha. De quoi tenter d'apaiser la colère de nombreux partisans outrés de voir leur parti serrer la main du « Diable ». En effet, la participation d'Ennahdha au gouvernement de Habib Essid a suscité l'incompréhension d'une importante frange de la base du parti islamiste. En plus de la déception de voir Ennahdha occuper une place qui ne conviendrait pas à sa taille et à son assise populaire, le pacte avec son ennemi juré, Nidaa Tounes, a été une pilule trop dure à faire avaler. Ce n'est donc pas uniquement du côté de Nidaa Tounes qu'électeurs et partisans crient à la trahison. La publication de cet essai sur le site d'Al Jazeera, n'est également pas fortuite. Le fait que le discours de Rached Ghannouchi trouve sa place sur le journal qatari au lieu du site officiel du parti prouve que l'opinion internationale, et en premier arabe, est une des premières concernées par ce message. Des puissances mondiales auxquelles Ennahdha est soucieuse de prouver que le schéma égyptien n'est pas prêt de voir le jour en Tunisie. Le parti, fragilisé par son dernier exercice au pouvoir, aux côtés des deux autres partis de la Troïka, en l'occurrence le CPR et Ettakatol, est arrivé deuxième aux élections législatives de 2014, derrière Nidaa Tounes. Ses deux anciens compagnons de fortune ont eu moins de chance. Si le CPR a obtenu 4 sièges au Parlement, Ettakatol n'en a récolté aucun et gagnerait à tirer sa révérence. D'anciens alliés encombrants sur lesquels Rached Ghannouchi n'a pas manqué de tirer, après avoir fait ami ami avec Nidaa Tounes. « Nous sommes aujourd'hui dans le même gouvernement et les figures radicales qui auraient pu nous pousser vers une confrontation avec Nidaa, n'ont plus leur place », a-t-il écrit avec une allusion à peine masquée à ses anciens alliés du CPR, opposants farouches à ses camarades d'aujourd'hui. Par ailleurs, Rached Ghannouchi est revenu sur le renoncement du parti à occuper une place conséquente au sein du gouvernement de Habib Essid. Sans oublier au passage de citer, le fait que le parti ne se soit pas présenté à l'élection présidentielle et qu'il ait fait preuve d'une « grandeur rare » en refusant de se venger de ses bourreaux d'hier et en rejetant, dans ce sens, la loi d'immunisation de la révolution. « Nous leur avons permis de participer à la vie politique en laissant la justice transitionnelle soigner les blessures du passé et en fermant la porte à la rancœur et à la vengeance », écrit-il. Et d'ajouter : « Le pays n'est pas capable aujourd'hui de supporter une opposition aussi puissante qu'Ennahdha, nous avons donc décidé de faire partie du pouvoir ». Selon Rached Ghanncouhi, la grandeur d'Ennahdha ne réside pas seulement dans le fait qu'il ait refusé de se présenter à la présidentielle afin de privilégier l'intérêt du pays. La « totale neutralité» dont le parti a fait preuve a aussi été de mise afin de ne pas faire prendre de risques à l'expérience démocratique. Le petit protégé du parti islamiste a, en effet, été abandonné à quelques pas de la victoire. Aujourd'hui, Rached Ghannouchi, se prononce sur le sort de Moncef Marzouki, ancien président de la République et candidat soutenu par les bases d'Ennahdha et par ses cadres radicaux. Dans une déclaration au journal Al Arabi Aljadid, parue le 12 février 2015, Ghannouchi n'y va pas par quatre chemins : « les sondages montraient que Moncef Marzouki ne pouvait pas gagner l'élection et qu'il n'était pas possible que le parti le soutienne », a-t-il dit expliquant ainsi les raisons l'ayant poussé à se débarrasser de l'un de ses plus intimes alliés. « Nous avons serré des mains que nous ne voulions pas serrer, mais nous avons fait plus que ça. Nous avons transformé une relation de rivalité en coopération et alliance » peut-on encore lire dans l'article de Rached Ghannouchi. Signé comme un aveu de faiblesse, à peine voilé, du parti islamiste, Ghannouchi tente ici de masquer une volonté de préserver l'existence d'Ennahdha après son échec aux dernières élections par une attitude pour le moins héroïque. Habitué des volte-face, Ennahdha et Rached Ghannouchi tentent de s'adapter comme ils peuvent à la nouvelle conjoncture. Tout en plaçant ses pions au nouveau gouvernement et en négociant serré avec Nidaa Tounes, Ennahdha ambitionne de sortir indemne de son dernier échec. On évoque même la renonciation du parti à son statut de parti islamiste, lors du prochain congrès extraordinaire qui sera tenu prochainement...