La décision du tribunal administratif d'annuler le décret portant sur la confiscation des biens mal acquis de la famille de l'ancien président et de ses proches a créé un état de choc chez plusieurs politiques et observateurs. En fait, cette décision n'était nullement opportune ni du point de vue de son timing, ni compte tenu de la situation économique, sociale et politique dans le pays. Mais la justice est-elle tenue de prendre en compte les considérations extra-juridiques ou doit-elle appliquer, dans toutes les circonstances, sa froide et implacable impartialité ? Nul doute que la quasi-majorité des Tunisiens soutient la confiscation des biens du clan Ben Ali, Trabelsi et leurs vassaux. La liste des personnes concernées ne dépasse pas 114 personnes. Une liste arbitraire bien entendu. Mais dans un processus révolutionnaire, il y a forcément une dose d'arbitraire, qui à un moment donné, et s'agissant de quelques exceptions, a été rectifiée au point que des biens ont été restitués à leurs propriétaires qui ont prouvé leur non implication dans le système clientéliste instauré par l'ancien président et ses sbires. Pour tous les autres, et sauf ces rares exceptions, la confiscation de leurs biens s'imposait parce qu'il s'agit de biens mal acquis. En novembre 1987, ces nouveaux riches touchés par le décret de la confiscation étaient tous de condition modeste et démunis. A eux tous, ils ne pouvaient mobiliser qu'une partie infime des ressources dont disposait ostentatoirement le plus jeune et le plus novice de leur clan le 14 janvier 2011.
En plus, la confiscation de ces biens répondait à une exigence de la révolution, celle de la justice sociale et de la dignité. Dans ce sens, le jugement du tribunal administratif est choquant et donne l'impression d'un revirement contre des exigences fondamentales de la révolution. Il est d'autant plus choquant que, depuis quelques mois, ce même tribunal administratif, très respecté pour son autonomie et son indépendance, a connu une certaine tension suite à une mesure mal accueillie d'accorder à son premier président de rester en exercice une année supplémentaire après l'âge de sortie à la retraite.
La dernière décision du tribunal administratif laisse donc perplexe. Mais pour les observateurs avertis, cette décision n'est pas surprenante pour autant. En effet, le décret en question avait été critiqué depuis l'année 2011 et plusieurs failles et faiblesses ont été relevées dans ce décret. Le dernier jugement du tribunal administratif s'est faufilé entre quelques unes de ces failles.
Sur le plan formel donc, il n'y a rien à dire sur le jugement prononcé, un jugement qui pourrait mettre à mal tous les décrets signés au cours de la première phase de transition démocratique. Il pourrait aussi coûter très cher en dommages et intérêts aux finances publiques. Mais de là à crier victoire comme l'a fait un avocat du chef du clan des trabelsi, c'est aller un peu vite en besogne. En effet, le jugement prononcé par l'une des chambres de première instance du tribunal administratif a toutes les chances d'être révisé lors de son pourvoi devant une chambre de deuxième instance ou en cassation. Toutes les déclarations récentes de magistrats ou de spécialistes du droit administratif vont dans ce sens. Mais le pays n'a pas besoin d'une pareille secousse dont le seul aspect positif résiderait dans le fait que ce jugement donne, encore une fois, la preuve de l'indépendance des magistrats du tribunal administratif, des magistrats comme on les aime à un moment où la magistrature est secouée par tous les tiraillements.