Avec la démission de 31 députés du bloc parlementaire de Nidaa Tounes, officialisée aujourd'hui auprès du bureau de l'ARP, le parti majoritaire risque de perdre ce statut privilégié. Un basculement qui pourra bien changer le pouvoir au sein du Parlement et ainsi le remettre entre les mains de son rival d'hier, et allié d'aujourd'hui, Ennahdha, qui dispose déjà d'un bloc assez confortable. Aperçu des conséquences de cette démission redoutée par les partisans du « vote utile ». La crise au sein du parti de Béji Caïd Essebsi ne fait que s'envenimer. Les violences de la semaine dernière à Hammamet ont donné une nouvelle tournure aux luttes intestines qui secouent, depuis plusieurs mois déjà, le parti fort du pays. Une débandade qui pourrait bien profiter au deuxième parti fort, à savoir Ennahdha, et qui risque de le remettre au-devant de la scène. En effet, aujourd'hui, 31 députés sur les 86 du bloc parlementaire de Nidaa, ont officiellement présenté leur démission au bureau de l'ARP. Une démission déjà annoncée depuis la semaine dernière, avant celle du gel de leurs adhésions au parti, en attendant des jours meilleurs.
Mais qu'implique cette démission au juste ? Il est important de mentionner à ce niveau, que si les députés Nidaa ont gelé leurs adhésions du parti, ils en restent néanmoins membres. Leur récente démission ne concerne en effet que le bloc parlementaire et non le parti lui-même. Ainsi, Nidaa Tounes garde ses 86 députés mais c'est son bloc qui se retrouve amputé de 31 membres et compte, ainsi, 57 élus seulement. Alors, avec cette démission, le bloc de Nidaa Tounes se retrouve donc deuxième après celui d'Ennahdha qui compte 69 députés, connus pour leur implacable discipline. Qu'en est-il du gouvernement ? Selon les articles 89, 97 et 98 de la Constitution tunisienne, c'est la coalition électorale ayant obtenu, aux élections, le plus grand nombre de sièges au sein de l'Assemblée des représentants du peuple, qui est chargée de former le gouvernement. Ainsi, le gouvernement restera donc, pour l'instant, aux mains de Nidaa qui pourra nommer un futur chef du gouvernement en cas de motion de censure, de démission, ou de vacances définitive de la présidence du gouvernement. Pour faire plus simple, les résultats des élections priment sur la dynamique qui lui est ultérieure, la Constitution ne prévoyant pas le cas de scissions au sein du parti majoritaire.
Pour l'instant, le gouvernement continue à réunir la confiance des 4 partis au pouvoir, à savoir Ennahdha, Nidaa, l'UPL et Afek Tounes qui réunissent encore la majorité absolue de la moitié des élus de l'ARP et ce, même si on prend en compte les 31 membres démissionnaires du bloc de Nidaa. Si on sait, en plus, que les députés démissionnaires ne remettent pas, pour l'instant, en cause leur confiance au gouvernement. En effet, le député de Nidaa Tounes et porte-parole des députés démissionnaires, Mustapha Ben Ahmed, a déclaré sur Mosaïque Fm ce lundi 9 novembre 2015 que les députés démissionnaires soutiennent, encore, le gouvernement. Cet équilibre demeure donc intact et le gouvernement reste encore soutenu par le même nombre de partis et de coalitions parlementaires. Cependant, si le bloc parlementaire du parti majoritaire perd près du tiers de ses membres, qu'en sera-t-il de la dynamique au sein de l'ARP ? Selon l'article 34 du code du règlement intérieur de l'ARP, « un même parti ou coalition ne peut former qu'un seul bloc parlementaire. Chaque membre de l'Assemblée a le droit d'appartenir à un bloc de son choix ». Les 31 démissionnaires auront donc le choix de faire partie d'un autre bloc déjà existant ou de se joindre aux indépendants qui étaient, auparavant, au nombre de 15. Ainsi, les indépendants pourront former le nouveau bloc parlementaire de l'ARP avec 46 membres, se plaçant après Ennahdha (69) et Nidaa (57). Ils pourront aussi enrichir d'autres coalitions parlementaires déjà existantes. Autant dire que les équilibres au sein de l'ARP s'en retrouveront plutôt chamboulés.
Au-delà de l'analyse purement juridique, il est clair qu'Ennahdha deviendra le pivot de la majorité gouvernementale et détiendra les clés du jeu politique. Surtout avec un parti au bord de l'effritement et aux avances plutôt imprévisibles. Les démissionnaires de Nidaa Tounes, présenté justement comme le parti qui contrera Ennahdha, offrent au parti islamiste la chance d'occuper, de nouveau, le devant de la scène. Si l'équilibre politique des pouvoirs se retrouve en théorie très peu affecté par cette démission, ce sont les travaux de l'ARP et de ceux des commissions qu'il abrite, qui peuvent s'en trouver impactés. En effet, la coalition parlementaire d'Ennahdha détiendra, après cette démission, la première place au parlement et aura ainsi de nouvelles fonctions qui étaient auparavant réservées à Nidaa. Ennahdha pourra ainsi avoir la priorité du choix au sein des commissions. Une situation susceptible de créer un nouveau blocage parlementaire.
Pour l'heure, les équilibres politiques restent relativement les mêmes. Nidaa Tounes est, encore aujourd'hui le parti majoritaire de l'ARP. C'est à lui donc que revient, le cas échéant, la tâche de désigner un chef du gouvernement qui choisira son équipe ministérielle. Le gouvernement actuel possède encore la confiance du parlement puisque même les élus démissionnaires affirment que cette confiance reste inchangée. Cependant, c'est l'éventuelle démission de Nidaa Tounes qui devra changer la donne. Démission qui reste encore à l'ordre du jour aujourd'hui mais qui n'est pas encore confirmée. Jamais un parti n'aura autant rendu service au rival qu'il a promis de combattre. Autant dire que les querelles au sein du parti fort du pays continueront à agiter la scène politique, à mettre en péril des équilibres, déjà fragiles, et à inverser une donne non moins incertaine…