Taoufik Jelassi, universitaire et ancien ministre des Technologies de l'Information et des Communications sous le gouvernement de Mehdi Jomâa a publié ce vendredi 20 mai 2016 un article paru au Harvard Business Review. Il revient sur son expérience gouvernementale passée et en tire des leçons. Ainsi la pression et le harcèlement exercés par les médias tunisiens, les turbulences politiques et l'environnement rude dans lesquels l'équipe gouvernementale, d'un mandat d'un an, influent sur le rendement et la productivité des membres de ce gouvernement.
Il revient sur le régime déchu de Zine El Abidine Ben Ali, les élections mises en place après son départ qui ont permis la mise en place d'un régime de coalition mené par des islamistes. Sur les assassinats politiques de février et juillet 2013, la crise profonde du pays et l'établissement du Quartet tunisien composé de quatre associations de la société civile et qui ont facilité la mise en place d'un dialogue national récompensé par le prix Nobel de la paix 2015. Dans cet article, il indique que le dialogue national avait atteint un consensus parmi les partis politiques et avait mis en place le gouvernement transitoire dont il a fait partie.
En véritable introspection politique, Taoufik Jelassi vient mettre en exergue les 5 clés justifiant la réussite de la gouvernance Jomâa et dont voici les principaux traits :
Construire une équipe avec de nouvelles perspectives : Mehdi Jomâa a alors réunit les personnes les plus compétentes dans son équipe provenant des Etats Unis, Brésil, Suisse, Angleterre et d'autres pays. Ces personnes avaient les outils et l'expérience nécessaire pour mener à bien leurs missions car ils ont une perspective extérieure à la machinerie Ben Ali, pas de connexion avec l'ancien régime.
Détruire les graines : pour travailler sur une tache monumentale en peu de temps il faut créer une structure de travail en réseau. Pour avancer il faut une collaboration entre les ministères et leurs hiérarchies par la démultiplication des connaissances locales et le travail sur le terrain. Il faut également permettre aux membres du gouvernement de prendre des décisions autonomes
Séparer la nouvelle équipe gouvernementale innovante de l'organisation traditionnelle du gouvernement. Cette nouvelle équipe doit travailler de façon autonome en Think Tank c'est-à-dire en laboratoire et géographiquement plus loin du principal siège du gouvernement. Comme les grands problèmes ont besoin de grandes solutions. Il faut donc que l'équipe gouvernementale nouvelle travaille dans un autre espace pour sauvegarder leurs idées novatrices.
Construire des ponts pour renforcer la confiance : les concepts de confiance, solidarité, respect et confidentialité au sein de l'équipe gouvernementale sont de mise pour pouvoir accomplir de grands projets. Favoriser l'intimité des membres de l'équipe gouvernementale par la mise en place d'activités de Team Building, se rencontrer le week-end pour jouer au football. Tous ces éléments vont permettre à l'équipe gouvernementale novatrice d'être sur la même longueur d'onde.
Savoir identifier et prioriser les opportunités : savoir se concentrer sur les priorités, construire des institutions d'Etat. « Nous avions un mandat d'un an pour accomplir de nombreux objectifs : entamer élections législatives et présidentielle, créer un environnement favorable à l'investissement et résoudre les nombreux conflits politiques … une situation sinistre nécessitant un plan d'urgence en un an et donc la focalisation sur les priorités ».
L'article se clôt par la question : Alors avons-nous réussit notre mission durant cette période ?
Taoufik Jelassi indique dans l'article que durant cette période l'équipe en question a réussi à mettre la Tunisie sur le bon chemin de la croissance économique, lutter contre le terrorisme, reconçu le système éducatif, mis en place un plan quinquennal stratégique pour le développement numérique en Tunisie. Mais malheureusement, la menace terroriste à laquelle est confrontée la Tunisie incarnée par les attaques du Musée du Bardo en 2015, l'attaque de l'hôtel de Sousse, l'attaque de la garde présidentielle et plus récemment l'attaque terroriste sur la ville de Ben Guerdène aux frontières de la Libye en mars 2016 ont ruiné le pays. Tous ces éléments portent atteinte au tourisme qui est un des plus grands générateurs de revenu du pays et ont affaibli économiquement le pays. Taoufik Jelassi, constate que la « turbulence continue ». Après avoir réintégré le monde universitaire et pris du recul par rapport à son expérience gouvernementale il indique : « Vous vous demanderez, comme j'ai fait en décembre 2013, aurais-je dû accepter ce travail? Je pense que nous devrons de plus en plus nous habituer à travailler dans des environnements très turbulents. Nous devrons, dans ce type de contexte, répondre à de grandes crises, à des bouleversements politiques, aux troubles sociaux et aux attaques terroristes. Ces turbulences sont, j'en ai peur, devenues normales. Les temps seront très durs à l'avenir. Nous devrons être mentalement forts et émotionnellement résistants pour démultiplier notre potentiel. L'intérêt général l'exige ».