« Que le 18 octobre soit la journée de l'épuration et de la liquidation du détestable RCD ». Cette phrase a clos un communiqué des ligues de protection de la révolution publié en octobre 2012 dans la ville de Tataouine. Ce communiqué a été signé par le secrétaire général de cette tristement célèbre ligue, Saïd Chelbi. Ce jour-là, en 2012, le coordinateur général de Nidaa à Tataouine, Lotfi Nagdh, a été lynché par une foule en colère. Ce même Nidaa qu'on avait qualifié, et qu'on qualifie aujourd'hui encore, de résidu du RCD. Cette ligue est aujourd'hui dissoute, ses membres en revanche se narguent d'être des révolutionnaires qui veulent, eux-aussi, sauver le pays. Des vidéos de Lotfi Nagdh trainant au sol, les vêtements déchirés et le visage recouvert de bleus ont fait le tour de la toile et ont été reprises à l'unisson par les médias de la place. Ce jour-là, Lotfi Nagdh est mort. Dans un premier rapport établi par un médecin légiste, on apprend qu'il est mort « suite à une crise cardiaque ». Un deuxième rapport a attesté de la présence de bleus et d'œdèmes sur tout son corps.
Hier soir, les présumés assassins de Lotfi Nagdh ont tous été acquittés et relâchés. Un non-lieu retentissant a été prononcé dans l'affaire de son assassinat qui traine devant les tribunaux depuis 2012. Saïd Chelbi, Louhichi Fakhem, Abdelwaheb Thebti et les autres, ont pu rentrer chez eux ce matin sous les applaudissements des pseudos révolutionnaires venus les accueillir et les acclamer. On les présente comme des héros, comme des victimes d'une opinion publique qui les a accusés à tort pendant 4 ans alors qu'ils étaient innocents. Oui car on célèbre cet acquittement comme étant une victoire, une victoire de la justice impartiale et indépendante contre le pouvoir tyrannique. Une justice des révolutionnaires qui ont décidé de faire justice eux-mêmes. Une justice de ceux dont les appartenances politiques les placent hors d'atteinte.
Ce procès qui a duré 4 longues années s'est soldé par un fiasco total. La question est simple et aucune réponse n'a été apportée à l'heure actuelle. Qui a tué Lotfi Nagdh ? Aujourd'hui, on estime qu'il n'a pas été tué. Qu'il a tout simplement « succombé » au lynchage de la foule. Qu'il a « perdu la vie » après une crise cardiaque. Qu'il a péri suite « au choc subi lors d'une manifestation qui a dégénéré des deux côtés ». Mais il ne s'agit nullement de meurtre ou d'assassinat. Des jeux de mots permettent de masquer la réalité, de maquiller ce qui est vrai et de disculper les véritables coupables. Au diable la sacralité de la vie humaine ! Mais les véritables coupables ne sont pas seulement ceux qui posent ce matin, le sourire béat et la mine triomphante, aux côtés des « révolutionnaires » de fortune. Les vrais coupables sont ceux qui ont banalisé l'appel au meurtre et le lynchage public. Ce sont ces élus de l'ancien Parlement qui ont appelé à ce que « des mains soient coupées », à ce que « ceux qui contestent la légitimité soient lynchés dans la rue ». Ces élus qui ont qualifié les accusés de « lions qui se sont mobilisés pour défendre une noble cause, celle de la révolution et de ses principes », et ce, avant qu'aucun jugement ne soit rendu. C'est ce pouvoir qui autorise des partis politiques menaçant de « couper des têtes et des mains », d'agir en toute légalité et de continuer à propager ses discours haineux. Les premiers responsables ce sont tous ceux qui ont permis à cette culture de la haine et de la violence de s'enraciner dans le pays et de devenir un langage qualifié de révolutionnaire et largement toléré.
Lotfi Nagdh n'est pas le seul à avoir succombé à la légitimité révolutionnaire. Les assassinats de Chorki Belaïd et de Mohamed Brahim, dont on ignore tout à l'heure actuelle hormis quelques bribes d'informations, restent impunis. Il s'agit d'affaires différentes, mais tous sont des meurtres minutieusement préparés. Si des armes ont été achetées et des « hommes de main » payés pour que Belaïd et Brahim soient assassinés, il n'en demeure pas moins que la mort de Nagdh a été tout aussi préméditée. Des discours banalisant tout appel au meurtre, ou passage à l'acte, un climat de tensions et de violence, et un lynchage qui demeure impuni et sur lequel on n'arrive toujours pas à mettre des mots… Lotfi Nadgh a été tué, mais tous les accusés sont innocents. Qui sont donc les vrais coupables ?