L'affaire du meurtre de Lotfi Nagdh remonte à deux ans et neuf mois, plus précisément au 18 octobre 2012. Depuis, que de péripéties et de rebondissements allant dans tous les sens, parfois dans une direction, puis dans son opposé. Mais la dernière décision de la chambre des mises en accusation de Sousse de libérer quatre parmi les accusés du meurtre a donné une nouvelle tournure au procès et a soulevé diverses réactions notamment chez les membres de la famille de la victime, ceux du comité de défense et au sein du parti de Nidaa Tounes puisque Lotfi Nagdh en était le coordinateur général à Tataouine.
Un bref rappel des faits tout de même. Feu Lotfi Nagdh a été assassiné le 18 octobre 2012 laissant derrière lui six orphelins et leur maman. Ce jour-là, des affrontements ont eu lieu à Tataouine entre des manifestants appartenant à la Ligue dite de protection de la Révolution (LPR) et des membres du CPR et d'Ennahdha, d'un côté, et des membres de l'Union régionale de l'agriculture et de la pêche (URAP) de l'autre. Et selon des faits établis et avérés, des membres de la LPR ont tabassé et lynché à mort le coordinateur de Nidaa dans la ville, également président régional de l'Union Tunisienne pour l'Agriculture et la Pêche.
Après un premier rapport du ministère de l'intérieur à l'époque concluant à un simple décès par arrêt cardiaque, une autopsie, en bonne et due forme, avait établi la mort par coups et violences. Ainsi, le 25 janvier 2013, une chambre des mises en accusation près la cour d'appel de Sousse, a officiellement inculpé les assassins présumés de Lotfi Nagdh et a rejeté l'hypothèse de l'arrêt cardiaque comme cause de décès de ce membre du parti Nidaa Tounes. Les accusés ont fait appel, une autre chambre a examiné l'affaire et a aggravé les chefs d'inculpation pour passer de l'article 205 du code pénal à l'article 201. S'agissant ainsi d'un meurtre volontaire et prémédité et selon l'article 201 du code pénal, les meurtriers de Lotfi Nagdh encourent la peine de mort.
Rebondissement, le 3 janvier 2014, avec la décision de la cour de cassation qui a accepté le recours des avocats des prévenus sur le fond et la forme et a décidé de casser l'arrêt d'appel qui a conclu à leur responsabilité pénale. Selon la cour, le décès de Lotfi Nagdh est causé par un arrêt cardiaque et non par le lynchage dont il a été victime lors de ladite manifestation. L'information avait été confirmée par Maître Hatem Chalghoum, avocat des inculpés, qui avait indiqué dans une déclaration aux médias que la cour s'est basée sur le rapport d'autopsie qui démontre que la mort de Lotfi Nagdh n'est pas imputable à ses clients. En d'autres termes, Lotfi Nagdh aurait succombé à un accident cardiaque avant d'avoir été agressé par les manifestants. La cour de cassation s'est donc prévalue de l'hypothèse du crime impossible et a décidé la libération des inculpés en attendant leur comparution à nouveau devant la chambre des mises en accusation.
Naturellement, sa décision n'est pas définitive en ce sens que l'affaire sera soumise à nouveau à la cour d'appel de Sousse qui peut confirmer la mise en accusation comme elle peut s'aligner sur la position de la cour de cassation. En revanche, la cour de cassation a refusé la libération des membres de Nidaa Tounès arrêtés dans la même affaire pour usage de cocktail Molotov. Il est à rappeler que la thèse de l'arrêt cardiaque sur laquelle s'est basée la Cour de Cassation pour prendre sa décision a été celle du ministère de l'Intérieur qui l'avait officiellement annoncée le jour du drame, survenu le 18 octobre 2012.
Confirmation de ce coup de théâtre en ce 10 juillet 2015 avec l'annonce faite par l'avocat des détenus, Me Hatem Chalghoum, faisant part de la décision de la cour d'appel de Sousse de libérer quatre des accusés, et ce après avoir rejeté l'accusation de meurtre avec préméditation contre ses clients. Les personnes libérées sont : Mongi Maïz Brahim Thabti Béchir Harrabi et Mabrouk Kasser. Les avis juridiques diffèrent d'un camp à un autre, et toutes les options restent ouvertes dans le sens où la défense de la famille de la victime et le ministère public ont décidé de se pourvoir, de nouveau, en cassation. Il faut dire que toutes les interprétations restent possibles puisque le doute plane, surtout la conclusion exacte de l'autopsie qui demeure la clé de cette affaire. Car si les violences et les coups sont avérés, puisque étayés par des documents audio et vidéo, la question est de savoir si la mort est causée par la crise cardiaque ou par les agressions violentes ? Il ne faut pas perdre de vue le fait que le dossier a pris des couleurs politiques. D'un côté, il y le parti de Nidaa qui y voit « un assassinat politique et prémédité », et le CPR et Ennahdha qui y voient un incident dont les intervenants sont difficiles à déterminer, sans oublier que des dirigeants d'Ennahdha avaient pris cause pour les manifestants.
A rappeler la position prise par Ali Fares, député d'Ennahdha à l'Assemblée nationale constituante, qui était allé jusqu'à appeler à la libération des personnes impliquées dans le meurtre de Lotfi Nagdh, à leur rendre hommage et même à les dédommager. Selon ce député, « ces gens-là sont des ''lions'' ayant bien conduit la révolution et continuent de défendre ses principes en cherchant à assainir l'administration», avait-il lancé lors d'une séance plénière de l'ANC. Et d'ajouter que «ces gens-là sont sortis massivement dans la rue pour la noble cause de la révolution et, au lieu de leur rendre hommage, on les a incarcérés », selon ses propres termes.
Or, après la récente décision de la chambre des mises en accusation près la cour, Nidaa Tounes est monté au créneau avec une implication directe et au plus haut niveau, puisque c'est Mohsen Marzouk, secrétaire général du parti en personne, qui est intervenu en publiant un post sur sa page officielle Facebook. Dans ce statut, il indique que « tout en respectant l'indépendance de la magistrature», il ne peut retenir son étonnement concernant « la décision prise à propos de l'affaire Lotfi Nagdh, dont les tueurs ont été vus par tous sur les vidéos », avant de préciser que le dossier sera examiné, incessamment, lors de la réunion des dirigeants du parti
L'affaire semble être imprégnée de connotations politiques, d'où l'espoir qu'elle soit traitée dans un cadre purement juridique afin que la magistrature reste indépendante et au-dessus de la mêlée et loin des facteurs pouvant entraîner des décisions subjectives.