On ne juge pas un remaniement ministériel par le nombre de départements qu'il touche, la question n'est pas quantitative. L'ampleur d'un remaniement est toujours en relation avec ses visées, les anciens équilibres qu'il rabote et les nouveaux rapports qu'il installe.
Sur un plan strictement technique, ce remaniement annoncé samedi n'a touché aucun ministère important, aucun ministère régalien et aucun des ministères critiqués depuis quelques semaines, qui étaient dans le viseur des médias et des organisations de la société civile. On pensera notamment ici au ministère de l'Education ou à celui des Finances. Au contraire, il a touché un poste vacant depuis longtemps au ministère des Affaires religieuses, le ministre de la Fonction publique qui avait annoncé lui-même son départ depuis jeudi dernier et le secrétaire d'Etat au Commerce nidaiste dont la mésentente avec son ministre de l'Industrie nahdhaoui n'est plus un secret pour personne.
Sur un plan anecdotique, on notera que la précipitation de l'annonce du remaniement avait pour but de devancer la démission annoncée mais non encore présentée de Abid Briki. Cela nous rappelle des réflexes anciens qui faisaient que le chef de l'exécutif ne tolérait le départ de ses collaborateurs que dans le cadre d'une nouvelle affectation, souvent à son insu, ou dans le cadre d'un limogeage. Dans le temps, cette démarche faisait peut-être peur. Maintenant, elle fait surtout marrer.
Sur le plan anecdotique aussi, le remplacement d'un ancien cadre syndicaliste par un cadre en exercice du patronat est tout aussi marrant, tant la décision prend l'allure d'une réaction intempestive et puérile. On attendra les semaines à venir pour voir si cette décision émane d'une réflexion profonde ou au contraire, d'une volonté de lancer un dard à la centrale syndicale.
Sur le plan politique par contre, les choses sont un peu plus complexes. Par l'accélération de l'annonce du limogeage du ministre de la Fonction publique, la communication gouvernementale tente de fixer l'attention sur le remaniement et la détourner des raisons profondes de la mésentente entre Abid Briki et son chef du gouvernement. En attendant des déclarations de la part des acteurs eux-mêmes, ou des récits fuités qui ne sauraient tarder, il y a lieu de croire que la réforme de l'administration et de la fonction publique, la corruption qui la gangrène et la révision des nominations sont au centre du différent entre Briki et Chahed. Il se trouve que beaucoup de ces dossiers de corruption datent de la période de la troika. Il se trouve aussi que le pic des nominations dans la fonction publique a coïncidé avec la période de la troika. D'ailleurs, l'un des quatre points de la feuille de route du gouvernement de Mehdi Jomâa , issu du dialogue national est précisément la révision des nominations. Malheureusement, ni le gouvernement de Mehdi Jomâa, ni celui de Habib Essid n'ont levé le petit doigt pour traiter ce dossier. Youssef Chahed s'est-il lui aussi, résigné face aux exigences et aux pressions d'Ennahdha concernant ce dossier. A voir les premières réactions à propos du remaniement, plutôt accueillantes de Noureddine Bhiri et de Ajmi Lourimi d'un côté et carrément sceptique de Hafedh Caïd Essebsi de l'autre, il y a lieu d'être sceptique et de se demander si Youssef Chahed n'est pas entrain de glisser sur la même pente qui a fini par coûter son fauteuil à son prédécesseur Habib Essid.
D'ailleurs, à regarder ce remaniement de plus prés, on constate que le parti islamiste est très présent aussi bien au niveau des limogeages que celui des nominations. En effet, le retard pris dans la nomination du ministre des Affaires religieuses est dû au droit de regard imposé par Ennahdha sur ce ministère. Le limogeage du secrétaire d'Etat au Commerce porte lui aussi l'empreinte du parti islamiste.
Que faut-il penser de ce remaniement donc ? Franchement, pas beaucoup de bien !