Rached Ghannouchi prépare son grand come-back sur la scène politique. Ce n'est pas qu'il en était absent. En réalité, on ne voyait que lui à chaque événement mondain qu'il ne ratait sous aucun prétexte. Mais le président d'Ennahdha se devait aujourd'hui, plus que jamais, de sortir sous un nouveau jour, de se démarquer de l'image du « gourou islamiste », à l'apparence austère et dépouillée et de faire peau neuve. Pour réussir ce pari, rien de plus simple : une cravate ! Ne négligez pas ce simple bout de tissu, ses pouvoirs dépassent de loin sa taille. La dernière apparition publique de Rached Ghannouchi, lors de la réception organisée dimanche par l'ambassadrice du Maroc à Tunis l'occasion de la fête du Trône, a été très remarquée. Le nouveau look du leader islamiste n'a échappé à personne. Un costard-cravate, aux couleurs assorties. Sobre mais efficace. Ghannouchi récidive ce soir à l'occasion d'une interview exclusive donnée à la chaîne Nessma TV en promettant des révélations importantes. Si l'ancien président Moncef Marzouki a choisi de bannir de sa garde-robe ce morceau de tissu pour montrer son détachement de la pensée occidentale, Rached Ghannouchi a justement décidé de renouer avec cette pensée en l'arborant fièrement. Ne sous-estimez pas la force que ce petit bout de tissu peut avoir.
Le leader islamiste à la barbe blanche, âgé de 76 ans aujourd'hui, n'est plus le même que celui qui est revenu à Tunis, en 2011, après 20 ans d'exil politique, la barbe grisonnante et le visage plein d'espoir. Le 30 janvier 2011, à peine deux semaines après la fuite de l'ancien président Ben Ali, il avait déclaré « être surpris par l'ampleur et la rapidité du changement ». 6 ans plus tard, le changement ce sera lui. Le parti islamiste, qui n'avait pas bien calculé l'impact de son raz de marée électoral de 2011, s'est retrouvé victime de son succès. Il a amorcé son renouvellement avec le congrès de 2016. Lors de ce congrès, préparé comme un grand show à l'américaine, de beaux slogans ont été annoncés ainsi qu'une tonitruante rupture avec la dimension religieuse du parti. Désormais, Ennahdha ne fera plus de prosélytisme et ne mélangera pas religion et politique. Tout ceci tombera dans l'oreille d'un sourd. Non seulement, le parti (sans surprise) n'a pas tenu parole, mais aussi l'opinion publique n'a pas mordu à l'hameçon.
Le parti aura beau multiplier les interviews, les apparitions médiatiques chargées de bonnes intentions et crier haut et fort qu'il n'a rien à voir avec celui qu'il était, les faits sont têtus. Un soutien aux causes les plus progressistes, un Lotfi Zitoun plus moderniste que jamais, cela ne suffisait pas encore. Il fallait frapper fort et il fallait toucher à la « source du mal » : Ghannouchi en personne. La côte de popularité du président d'Ennahdha est plus que jamais en berne chez l'opinion publique mais aussi auprès des bases de son propre parti (source : le dernier baromètre Sigma). Il fallait donc donner un coup de jeune à l'image de celui que l'opinion publique associe aux décisions négatives et aux événements funestes.
Celui dont l'image est associée, dans l'imaginaire collectif, à la face sombre du parti, celui qui tire les ficelles et celui qui est, naturellement, responsable, des années noires que la Tunisie a vécues. Comment y remédier, lui faire porter une cravate… et pourquoi pas, au passage, mettre en place sa succession, déjà amorcée depuis plusieurs années déjà et en faire l'homme de la période à venir. Il s'agit de trouver celui qui devra succéder à cet homme de poigne, qui sera respecté à la fois de l'intérieur et de l'extérieur, qui saura tenir tête aux rebelles (car ils se font nombreux) et pourra, évidemment, donner du sang frais à un parti qui a mauvaise presse. Il s'agira aussi de donner à Ghannouchi une image plus douce, moins tranchée et plus acceptable pour l'opinion publique aujourd'hui.
A son retour en Tunisie en 2011, Rached Ghannouchi avait déclaré, à celui qui voulait l'entendre, vouloir se retirer de la vie politique et ne briguer aucun poste de responsabilité au sein du parti. Pourtant, lors des deux derniers congrès tenus par le parti, le plébiscite de Ghannouchi a été total et il a été, à chaque fois, réélu président du parti avec une majorité fort confortable. A quand annoncera-t-on le début officiel de la campagne « Ghannouchi 2019 » ?