La mort fait ressortir le pire chez les gens. La haine aussi. A peine l'accident de voiture dont a été victime le cortège de Rached Ghannouchi médiatisé, que les réseaux sociaux se sont déchaînés. Du côté de ses détracteurs, on a espéré que le vieux cheikh soit mort. "Bien fait pour lui", "La Tunisie se portera mieux après sa mort" avaient écrit certains, aux côtés de bien d'autres insultes. D'autres sont allés plus loin en affirmant qu'il y avait enfin "justice" dans la mort, en faisant référence aux récents décès d'intellectuels et de dirigeants de la gauche tunisienne. Cela vous choque? Et pourtant, les dénigrements ciblant Ghannouchi ne datent pas d'hier. Depuis 2011, année de son retour de Grande-Bretagne, le président d'Ennahdha s'est retrouvé au cœur d'une campagne de dénigrement des plus virulentes. A la tête du parti, il est connu pour être celui qui en tire les ficelles et est, donc, accusé de tous les maux dont Ennahdha serait à l'origine. La gestion désastreuse de l'Etat, à l'époque où Ennahdha faisait partie de la Troïka au pouvoir, mais aussi l'islamisation galopante du pays et, pire encore, le fléau du terrorisme.
Depuis des années, Ennahdha souffre d'une mauvaise presse et n'arrive pas à se défaire de son image de parti religieux, rétrograde et abritant certains radicaux. Un changement s'impose donc aujourd'hui. Un changement qui pourrait bien ne pas épargner la présidence du parti, qui est touchée par la même image négative. Cela tombe bien ! Le changement est le thème central du 10ème congrès du parti. Un congrès qui se prépare dans la minutie habituelle et dans une rigueur religieuse. Mais de religion, il n'est désormais plus question. Le parti compte, en effet, laisser derrière lui son identité religieuse, désormais très peu lucrative, au vu des derniers événements en Tunisie mais aussi dans le monde. Son récent "échec" aux élections en faisant partie. Mais étant donné la "pauvritude" de la scène politique nationale, Ennahdha garde encore la part du lion et...ne compte pas l'abandonner de sitôt.
Mais c'est aussi l'image de son leader que le parti devrait, également, laisser derrière lui. Rached Ghannouchi représentant, dans l'esprit collectif d'une bonne partie de l'opinion publique, la face sombre d'Ennahdha, le parti gagnerait à le remplacer. Ceci est au programme depuis des années déjà. En effet, le vieux cheikh avait maintes fois annoncé une retraite imminente. Dès son arrivée en Tunisie peu après le 14 janvier 2011, il a annoncé vouloir "se retirer de la vie politique" affirmant "ne briguer aucun poste de responsabilité au sein du parti". Depuis des années, Ghannouchi ne cesse de déclarer à qui veut l'entendre qu'il est prêt à céder sa place à « une génération politique plus jeune et plus apte » à diriger le pays et assure n'avoir aucune ambition politique. Et pourtant, Rached Ghannouchi a été, encore une fois, ces dernières années, reconduit à la tête d'Ennahdha. Une décision qui semblait faire l'unanimité de ses pairs, mais qui est loin de susciter l'engouement général de l'opinion publique nationale.
Le dernier document fuité d'Ennahdha vient étayer la thèse qu'un vent de changement soufflera bientôt sur le parti. Selon ce document, « le président du parti est son candidat naturel pour occuper les hauts postes de l'Etat (présidence de la République ou du gouvernement ou de l'assemblée) sauf cas de force majeure ou pour un intérêt considérable évalué par les instances ». Le président devra, ainsi, se porter candidat aux prochaines échéances électorales.
Ce vent de changement touchera-t-il Rached Ghannouchi? Nul doute, cependant, quant au rôle de père spirituel qu'il continuera à jouer dans les coulisses. Etant une inspiration et un pilier pour ses disciples, Ghannouchi ne compte pas encore lâcher les ficelles, mais il semble bien décidé à laisser sa place à une autre personne moins critiquée et à l'image plus "vierge". Si cela se fait, l'image d'Ennahdha changera, certes, mais cela ne se fera qu'en apparence...