On exige un système d'éducation de qualité et gratuit. N'est-ce pas là vouloir le beurre et l'argent du beurre ? Comme chaque année, la rentrée scolaire est un événement à l'occasion duquel le pays est à l'unisson pour assurer toutes les chances de réussite à nos écoliers, collégiens et lycéens et bon courage à la famille élargie de l'éducation. Sage mais aussi futile démarche, sachant qu'au bout de l'année scolaire, plus de 100 000 de nos jeunes enfants vont abandonner l'école. On aura beau scruter les statistiques de la population scolaire, du nombre d'établissements, celui des sections et des classes. On aura beau examiner les ratios des effectifs par classe et par professeur. Le mal est douloureusement récurrent. Et il ne tient pas seulement à l'abandon scolaire, mais aussi à la dégradation du niveau des savoirs et compétences acquises par ceux qui poursuivent leurs études, indépendamment du cycle, primaire ou secondaire. Le classement PISA 2015 sur la qualité, l'efficacité et l'équité des systèmes scolaires, a classé la Tunisie à la 65e place sur un total de 70 pays. Les performances du pays sont largement au-dessous de la moyenne des pays de l'OCDE dès qu'il s'agit de sciences, de mathématiques ou de compréhension. Prétendre dans ces conditions qu'on est apte à rattraper d'ici quelques années les économies les plus avancées serait illusoire.
Voila des années que l'Ecole publique, comme d'ailleurs l'université, souffre alors que les remèdes existent, consignés notamment dans « Le plan stratégique du secteur de l'éducation (2016-2020) ». Mais, faute de moyens, l'école publique, comme l'université, est condamnée à l'immobilisme. Pourtant, l'éducation publique consomme bon an, mal an le quart du total des crédits de paiement du budget général de l'Etat. Le coût de la gratuité de l'éducation et de l'enseignement doit-il s'arrêter là ? Compte tenu du contexte budgétaire du pays, cela ne fait aucun doute. Le débat méritait d'être instauré. Les récents propos de Noureddine Bhiri remettant en cause le principe de la gratuité de l'enseignement auraient constitué l'occasion idoine. Malheureusement, le sujet fut immédiatement étouffé par une salve de refus catégorique. Pourtant, la raison impose certains questionnements.
De nombreux paradoxes Est-il normal de constater d'une part que l'Etat consacre près de 25% de ses dépenses à l'éducation et l'enseignement alors que les ménages n'en consacrent que 2,5% dans leur budget de consommation ? Est-il normal que, dans le même temps, de plus en plus de ménages inscrivent leur progéniture dans des établissements privés d'éducation.
Pour la première fois dans l'histoire du pays, les effectifs du premier cycle de l'enseignement primaire ont augmenté dans les mêmes proportions dans les établissements publics et les établissements privés, entre les années scolaires 2014/2015 et 2015/2016 : 13 000 élèves de plus dans le secteur public et 12 000 de plus dans les écoles primaires privés. Est-il normal de constater que les dépenses d'investissement du budget du ministère de l'Education ont baissé considérablement passant de 195 MD en 2010 à 57 MD prévus en 2017, alors que parallèlement on sollicite la contribution financière des ménages et les entreprises dans des campagnes comme « le mois de l'école » et autre, pour engager des opérations de maintenance d'établissements scolaires ? Est-il normal de constater qu'un large pan de ceux qui défendent mordicus le principe de la gratuité de l'enseignement n'hésite pas à recourir aux cours privés pour améliorer les connaissances de leurs enfants ?
Répondre à ces interrogations, c'est esquisser l'école publique tunisienne de demain. La famille de l'éducation est-elle prête ? Rien n'est moins sûr.