Est-ce parce que c'est le dernier budget de la législature que les députés s'en sont donnés à cœur-joie dans l'invective et l'insulte, dans l'hypocrisie et la lâcheté ? Mohamed Ennaceur, président de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), a-t-il crû bien faire en laissant libre cours à une telle hystérie, au moment le plus délicat du processus budgétaire, durant l'examen article par article du projet de loi de finances 2019 ? On ne peut pas croire qu'il ait pu sous-estimer à ce point l'impact de ce désastreux spectacle auprès de l'opinion publique. Celle-ci attendait des argumentaires solides de part et d'autre pour se forger un jugement sur le projet de loi de finances, on lui a fourni des affirmations à l'emporte-pièce. Elle attendait une certaine éloquence dans le discours de nos élus, ce ne fut que vulgarités langagières. Elle attendait une intelligibilité des débats, ce ne fut qu'errements et inepties. Elle espérait de la transparence dans les échanges, on l'a mise en présence d'incroyables valses-hésitations, propres à toutes les suspicions. Il est vrai que le gouvernement n'est pas exempt de responsabilités dans cet inimaginable spectacle ayant comme point d'orgue les fameuses dispositions relatives d'une part à la fiscalité des grandes surfaces, et d'autre part l'instauration d'une taxe exceptionnelle de 1% sur « les transactions » des banques. Le silence de Ridha Chalghoum, ministre des Finances, n'a fait qu'accentuer les dérapages. En se refusant à toute explication sur les raisons du revirement du gouvernement concernant la fiscalité des grandes surfaces, il a laissé imaginer toutes les turpitudes autour du sujet, faisant implicitement fi d'un substrat fondamental de la justice fiscale qu'est la transparence. Ce silence est irrecevable dès lors que l'occasion était donnée de plaider l'architecture générale de la nouvelle imposition sur les sociétés et les bénéfices et l'esprit qui l'a guidée, d'expliquer ses tenant et aboutissants, comme de fournir les raisons d'une aussi large palette de taux d'imposition variant entre 10% et 35%. A tout le moins, n'aurait-il pas pu ramener les députés à une relecture de l'exposé des motifs des articles 13 à 17 du projet de loi de finances relatifs à cette nouvelle imposition et ne pas laisser entraîner dans le fol tourbillon des lobbies ?
Il est clair que cette attitude ne pouvait que conduire à l'ahurissante adoption de l'inénarrable article proposé par l'opposition visant à « soumettre les transactions des banques, des compagnies d'assurances, des opérateurs téléphoniques, des sociétés pétrolières à une contribution exceptionnelle de 1% de la valeur de la transaction, au profit des Caisses sociales à partir du 1er janvier 2019 et pour les années ultérieures », c'est littéralement traduit. Ce n'est que lorsque ce fameux article fut adopté, faisant chuter l'indice boursier de 3% en une seule journée, que tout le monde, ses initiateurs inclus, s'est rendu compte de l'impossibilité de pouvoir appliquer une telle disposition en raison du flou qui entoure le terme « transactions ». On ne peut imaginer qu'il s'agisse de Chiffres d'affaires, ce serait historique et mondial à la fois. Ce serait aussi signer la fragilisation d'un pan important de l'économie du pays dont les conséquences seraient désastreuses. Alors ! De quelles « transactions » s'agit-il ? Le plus cocasse dans l'histoire est que les initiateurs de cette mesure ont demandé une réécriture de cette disposition qui annule et remplace la première. Ce que le gouvernement ne pouvant que logiquement refuser, ne proposant en retour que le report d'une telle disposition à 2020. Autant dire, une disposition à jeter dans les oubliettes de l'histoire fiscale du pays. Cependant, la riposte gouvernementale n'est pas exempte de critiques dans la mesure où il n'a pas voulu opter pour une abrogation pure et simple d'une telle disposition, promettant d'étudier plus sérieusement cette initiative de l'opposition parlementaire. On ne corrige pas une erreur en s'accommodant de la même erreur.
En tout état de cause, c'est à partir de ces sordides soubresauts ayant émaillé les débats budgétaires qu'on constate que la lacune de ce gouvernement réside dans son incapacité à défendre résolument son projet de loi de finances. On a laissé le ministre des Finances, seul, ferrailler alors qu'il aurait été plus judicieux qu'il fût accompagné par tout le gouvernement ce fameux jour où tout a dérapé au sein de l'Assemblée des représentants du peuple. Cela aurait pu contribuer à calmer les déplorables ardeurs des députés et éviter de renvoyer à l'opinion publique une image aussi pénible de nos élus, particulièrement en fin de mandat.