Le diplôme du baccalauréat en poche, une grande majorité de jeunes diplômés rêve de partir poursuivre ses études à l'étranger. La possibilité est ouverte à ceux qui ont les moyens – financiers et scolaires – de leurs ambitions. Certains choisissent de rester, alors que beaucoup d'autres partent, privant le pays d'une manne de cerveaux dont il a plus que jamais besoin. « Je suis lauréat au bac et je ne pars pas » est le titre d'un texte très émouvant écrit par un jeune lauréat tunisien au bac 2019 et salué en masse sur la toile. Dans le texte, le jeune homme écrit : « ma moyenne au bac est 18.79, ce qui me donne le droit à une bourse d'études à l'étranger. J'ai décidé de rester et tout le monde est contre moi, mes parents en premier. Ils n'arrivent pas à comprendre comment je puisse rater cette chance, que je vais certainement regretter. Mon père est allé jusqu'à ne plus m'adresser la parole […] Oui je suis peut-être fou ! ». Il explique ainsi son geste en ces mots : « J'ai d'autres priorités que ceux qui me poussent à partir ne comprennent pas, et qui n'ont plus de sens pour la majorité. Quand je leur dis que j'aime mon pays, ils me regardent d'un air étrange s'ils ne se mettent pas à rire. […] Pourtant je suis très sérieux, je suis au summum de mon sérieux, j'aime mon pays, et je ne le quitterai pas ». Très peu de gens peuvent tenir le même discours. Pas toujours par manque de patriotisme ou d'amour pour leur pays, mais parce que les conditions d'études, les débouchées et les postes offerts par la suite font vraiment réfléchir.
32% des bacheliers ont décroché le fameux sésame en cette session 2019, contre 30% l'année précédente. 131.210 élèves ont passé le bac cette année et 40.385 parmi eux ont été admis, d'après les statistiques fournies par le ministère de l'Education. Les moyennes des lauréats crèvent le plafond. La meilleure moyenne à l'échelle nationale a été décrochée par Yassine Ktari, au lycée pilote de l'Ariana, avec un 19,77 dans la section mathématiques. Si lui n'a pas ouvertement manifesté sa volonté de poursuivre ses études à l'étranger, d'autres ont été très clairs à ce sujet. Emna Bennour, du lycée Bourguiba pilote de Tunis, lauréate de la section Technique avec une moyenne de 19,58 a affirmé vouloir poursuivre ses études universitaires en Allemagne. Hamdi Gafsi, lycée pilote de Monastir, 3ème sur le podium, lauréat de la section sciences expérimentales avec une moyenne de 19,53, évoque quant à lui sa volonté de poursuivre ses études à l'étranger « si une bonne opportunité se présentait ». Idem pour Dhia Nouri, lauréat de la section informatique (17,60) qui a exprimé sa volonté d'étudier l'ingénierie informatique à l'étranger. Facultés de médecine, écoles d'ingénieurs, grandes écoles de commerce, management et autres branches prestigieuses sont visées par les lauréats. Des bourses d'études sont proposées aux élèves les plus brillants pour les encourager à intégrer les grandes écoles françaises. Les étudiants tunisiens admis à des écoles très convoitées comme Polytechnique, l'Ecole Centrale, Ponts et Chaussées, HEC Paris et autres peuvent se voir offrir des bourses couvrant toute la durée de leur cursus. Très alléchant lorsqu'on connait les opportunités qu'un tel cursus peut offrir à l'étudiant qui le suit.
Pour les étudiants en médecine, des pays comme la France ou l'Allemagne permettent souvent d'offrir des choix de spécialité meilleurs, car plus accessibles, que ceux de la Tunisie. Si certains étudiants tunisiens en médecine commencent leur cursus dans leur pays, ils choisissent dans de nombreux cas de le finir à l'étranger. Nombreux étudiants se plaignent souvent de la faiblesse du capital humain en médecine et du fait que les internes/résidents soient obligés d'accomplir une quantité de travail beaucoup trop éreintante pour le nombre de personnes présentes. Ils partent souvent finir leur spécialité dans les hôpitaux français. D'après un reportage réalisé par France 3, fin 2018, sur l'exode des médecins tunisiens et intitulé « la France choisit ses médecins en Tunisie », pour de nombreux étudiants en faculté de médecine de Tunis, « même si la formation a toujours été bonne, les étudiants se tournent tous aujourd'hui vers l'Europe ».
Et ce n'est pas mieux du côté des ingénieurs. Le doyen de l'Ordre des ingénieurs tunisiens (OIT), Oussama Khariji, avait indiqué, dans une déclaration à Business News, en avril dernier, que chaque année près de 3.000 ingénieurs quittent la Tunisie vers l'hexagone pour trouver du travail. Selon les statistiques de l'OIT, près de 10.000 ingénieurs tunisiens ont quitté le pays, durant ces 4 dernières années. Certaines spécialités sont en effet très demandées en France comme l'informatique et les différences de salaire – allant du double au triple - font que certains ingénieurs ne se posent pas la question très longtemps avant de décider de quitter leur pays.
En plus de la France ou de l'Allemagne, qui figurent en tête de liste des pays d'accueil, les étudiants tunisiens se tournent aussi vers la Roumanie, le Canada, l'Italie, l'Ukraine ou les USA. Certains affirment partir pour s'installer, faire leur vie et ne jamais revenir, ayant l'impression que leur pays leur dit « d'aller voir ailleurs ». D'autres nourrissent le rêve de revenir un jour pour travailler et finir leur carrière dans leur pays. Oui, mais à quel prix ?