Elles s'appellent Naziha, Chaffefa et Horra. Elles sont trois femmes qu'on a découvertes au moment de notre découverte de la démocratie. Avant, parait-il, on ne savait pas ce qu'était la démocratie. D'ailleurs, y a-t-il jamais eu d'élections démocratiques en Tunisie avant 2011 ? C'est ce qu'on a essayé de nous vendre lors de la révolution et le stratagème, aussi grotesque soit-il, a bien été vendu. Ainsi soit-il. Découvrons la démocratie avec ceux qui nous l'ont vendue en 2011. Il y a donc Naziha, Chaffefa et Horra, elles nous ont été présentées par Mustapha Ben Jaâfar, premier président de l'Assemblée de la République démocratique tunisienne, la deuxième du nom. Celle de la Constituante, vous vous rappelez ? Ces trois charmantes dames symbolisent l'intégrité, la transparence et la liberté. Comme nous ne connaissions pas la démocratie et ce qu'est la démocratie avant 2011, retenons donc cette définition, il n'y a point de démocratie sans la présence de ces trois charmantes dames, Naziha, Chaffefa et Horra. Voyeurs que nous sommes, nous avons commencé par nous attarder sur Chaffefa. Nous en avons vu des choses, hein ?! Des valises pleines de billets entrant en Tunisie sans contrôle, des billets distribués ici et là pour les meetings et les militants, du Chocotom, des mariages collectifs, des circoncisions, des gifts pour les futurs bacheliers, de l'intimidation, de la persuasion, du bruit lors du silence électoral. En dépit de tout ce que nous avons relevé chez Chaffefa, rien n'a été signalé du côté du gendarme de la démocratie, l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie). Ces infractions ne sont pas des crimes. Passez votre chemin, les tricheurs sont maintenus, les élections sont bonnes ! C'était le cas en 2011 et en 2014, le parti Ennahdha est passé. A quoi sert Chaffefa si ce que l'on voit à travers elle n'est pas retenu par les autorités ? Passez votre chemin, vous ne comprenez pas ?!
Du côté de Horra, nous nous sommes interrogés si les règles du jeu sont bien respectées quand on voit que le bon Dieu a été invité sur la pelouse pour disputer la balle avec les joueurs. Ses maisons ont bien servi pour les entrainements aussi. Un peu partout, on entendait dire que si vous ne votiez pas pour le parti de Dieu, alias Ennahdha, vous allez crever en enfer, car vous aurez mécontenté le bon Dieu. Aussi grotesque soit-il, le stratagème a bien marché aussi bien en 2011 qu'en 2014 et peut-être même en 2019. Passez votre chemin, les élections sont bonnes, il n'y a rien à relever, le parti islamiste n'a rien à voir avec la religion ! Mais son nom est bel et bien islamiste et son président est appelé cheikh un peu partout ! Passez votre chemin, vous ne comprenez pas ?!
Voyons alors du côté de Naziha, la seule qui nous reste pour s'accrocher et sauver, ce qu'il y a à sauver, de cette démocratie qu'on a découverte en 2011. Comment se passent les choses pour dame Naziha ? A ce jour, du lendemain des élections, on remarque clairement que Naziha a fait faux bond. Qu'elle n'a pas été là durant toute la campagne électorale et la précampagne, que ce soit pour les législatives ou la présidentielle. Plusieurs l'ont réclamée, des observateurs nationaux et internationaux, des journalistes tunisiens et étrangers, le président de la République et même l'Onu. Mais voilà, l'Isie fait comme si elle n'a rien entendu. Naziha n'est pas là, elle est arrêtée pour instruction (ou sur instruction, on ne sait plus trop) et on nous demande encore une fois de passer notre chemin, car les élections seraient démocratiques.
Où est Mustapha Ben Jâafar, père de la Constitution, cette meilleure constitution du monde ? N'est-il pas écrit dans cette constitution dans son article 23 que la torture morale est interdite ? N'est-il pas écrit dans son article 103 que le magistrat est tenu par l'obligation de neutralité et d'intégrité ? N'est-il pas écrit dans son article 126 que l'Isie se doit d'assurer la régularité, la sincérité et la transparence du processus électoral ? Alors qu'on nous explique comment peut-on accepter des élections sans la présence de Naziha et avec des mises en doute, toutes relatives, de Chaffefa et Horra ?
Trêve de blagues, on en est là aujourd'hui. Nous avons organisé des élections législatives en l'absence du président du parti favori dans les sondages. Il est resté favori jusqu'à l'avant-dernier jour et puis patatras, Qalb Tounes a chuté le jour J après avoir subi toutes sortes de tortures morales, de diffamations, d'intox, d'injustices. A cause d'un écart de deux points, Qalb Tounes perd son privilège constitutionnel de former un gouvernement. Qui nous garantit que si Chaffefa était là, c'est Qalb Tounes qui aurait gagné ? Dimanche prochain, le cas sera encore plus complexe, car c'est le deuxième tour de la présidentielle et le candidat Nabil Karoui est encore en prison. Comment peut-on accepter d'organiser des élections de cette envergure en l'absence de l'un des deux candidats ? C'est comme si vous alliez à un mariage auquel le marié (ou la mariée) est absent(e). On navigue en plein délire et l'Isie laisse faire. Comme des dindons de la farce, nous autres électeurs acceptons ce fait accompli de la dictature des juges et nous nous apprêtons à aller voter pour quelqu'un en prison. Quelqu'un qui n'a pas eu son droit absolu de mener sa campagne électorale ! Nous avons accepté ce « suppositoire » hier aux législatives et allons l'accepter la semaine prochaine pour la présidentielle. Alors voilà, en l'absence (relative ou totale) de Naziha, Chaffefa et Horra, il est évident que nous ne sommes plus en démocratie ! De quelles élections parle-t-on en l'absence de ces trois dames garantissant le processus électoral, un des piliers de la démocratie ? La démocratie telle que nous l'avons découverte en 2011, telle qu'elle nous a été vendue par Mustapha Ben Jaâfar et toutes les nations du monde, cette démocratie là n'est plus.
A partir du 14 octobre 2019, quand on va parler de démocratie, ce sera de l'hypocrisie totale. Exactement comme on en parlait avant la révolution. Une démocratie de façade qui est plus sale et plus noire que l'autre démocratie de pacotille qu'on avait sous Bourguiba et Ben Ali. En termes plus clairs, le mot « démocratie de façade » est synonyme de dictature. Il se trouve qu'avant, on avait une dictature éclairée et progressiste. Maintenant, on va avoir droit à la dictature des juges, la dictature religieuse et, cerise sur le gâteau, la dictature de populistes incultes.