Un roman passionnant qui plonge le lecteur dans les méandres d'une époque hélas révolue, mais qu'on aimerait tant avoir connue (la Tunisie d'après-Indépendance) Les nombreux quiproquos dus à l'homonymie entre Emna Belhadj Yahia et moi ont fini par nous amuser. Il y a même eu parfois des situations assez cocasses qui nous ont beaucoup fait rire. L'une d'entre elles (grâce à un heureux hasard) m'a permis de faire la connaissance du romancier et essayiste Ali Bécheur qui, pensant avoir envoyé un message à mon homonyme, s'était, en réalité, trompé de destinataire. Ce quiproquo me permit d'avoir quelques échanges avec un romancier dont j'apprécie l'univers. Et quelle ne fut pas ma surprise lorsque l'éminent écrivain voulut connaître mes impressions sur ses romans. Mes impressions d'humble lectrice, les voici. Et si j'ai choisi de parler du «Paradis des Femmes», c'est parce qu'il me semble que ce roman constitue la quintessence de l'écriture de Ali Bécheur. J'ai, en effet, eu un grand plaisir à lire «Le Paradis des Femmes». C'est un roman passionnant qui plonge le lecteur dans les méandres d'une époque hélas révolue, mais qu'on aimerait tant avoir connue (la Tunisie d'après-Indépendance). Ali Bécheur fait partie des rares auteurs qui donne à voir et à sentir. Il suffit au lecteur de fermer les yeux pour être envahi par un flot d'images, de couleurs et de senteurs. Ce qui m'a également frappé dans le roman, c'est la manière avec laquelle il décrit le désir ; le désir qui consume, le désir inavoué, inavouable, évoqué tantôt de manière imperceptible, tantôt de manière crue et directe, seule manière capable de traduire la puissance des passions. Nous suivons le héros dans toutes les étapes de son parcours initiatique : des premiers émois de l'adolescence à la maturité d'un homme pour qui l'amour se vit dans l'éclatement. Approchant le bonheur sans jamais l'atteindre, il ne parvient qu'à un succédané de l'amour et cet éternel insatisfait finit par se créer son allégorie du féminin en superposant les images de toutes celles qu'il a aimées. Le héros m'a, en ce sens, rappelé Bertrand, le personnage principal du film de Truffaut « L'homme qui aimait les femmes» et la célèbre phrase qu'il prononce avec sa voix de stentor dès les premières minutes. Ainsi, nous dit-il : «Les jambes de femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie». Ali Bécheur doit,lui aussi, bien connaître les femmes pour en parler avec autant de justesse. Le roman est un hymne à l'amour, à l'amour total et vrai. Je trouve d'ailleurs cette phrase remarquable : «L'amour, ou tu lui donnes tout, ou tu ne donnes rien. Si tu restes à mi-chemin, c'est une moitié d'amour, c'est-à-dire rien. Rien qui vaille de le vivre». C'est tellement vrai ; une vie sans amour ne vaut pas la peine d'être vécue. Tout au long du roman, le lecteur boit les paroles du narrateur tout comme le personnage principal semble envoûté par les récits de Djinns, de princes, de princesses et de contrées lointaines que lui raconte sa tante Ommi Khadouja. Cette matriarche omnipotente semble être la seule garante des traditions immémoriales. C'est le seul rempart contre l'oubli, la source intarissable à laquelle le narrateur ne cesse de s'abreuver comme pour retrouver ses racines. Le narrateur se cherche, se perd, mais finit toujours par remonter à la surface grâce à cette voix, à cette mélodie du passé que lui susurre sa tante à l'oreille. Ali Bécheur a sans conteste un don de conteur, (hélas denrée rare à notre époque de course effrénée et d'individualisme primaire) et comme on aimerait l'entendre lire ses romans comme pour nous permettre de faire une pause, d'arrêter le temps l'espace de quelques heures. Nous comprenons aisément qu'il ait obtenu deux fois le Comar d'Or.