Dans cette tourmente politique et sociale, les accusations abondent de toutes parts, avec le même rythme et la même violence que les dernières pluies diluviennes qui se sont abattues sur le pays. L'une des manifestations de ces hostilités a trait à la polémique autour de la prime fixe accordée aux députés et qui ne cesse d'être ravivée. Les uns s'y opposent catégoriquement en y voyant une faveur indue survenant, de surcroît, à un moment inopportun, les autres la défendent à cor et à cri et refusent ces jugements qu'ils considèrent comme étant mal intentionnés et outranciers. Chacun essaye d'appuyer le bien-fondé de ses allégations et de justifier autant que faire se peut sa position. Mais au-delà des arguments présentés par les deux camps, certains estiment qu'il y a une logique qui aide à trancher et à distinguer le vrai du faux. La fausse comparaison Le président du groupe parlementaire de Nida Tounès, Mohamed Troudi, et son partisan, Khaled Chawket, justifiaient l'indemnité versée par la «situation misérable» des députés tunisiens en comparaison avec leurs homologues dans les pays voisins. Mais, il s'agit là de données imprécises, voire erronées, selon l'ex-Pdg de la Télévision nationale, Mohamed Fehri Chelbi. Car, souligne-t-il, dans un pays comme l'Espagne, où le Smig est de 752 euros, le député touche une rémunération brute de 5757 euros, et un salaire net de 4.317 euros, c'est-à-dire dix fois le Smig, ou bien encore en Grèce où le député perçoit neuf fois le Smig, qui est fixé à 683 euros, étant donné que le brut perçu est de 8.090 euros et que le net est d'environ 6.000 euros. Alors, si on appliquait l'une ou l'autre des deux règles, dans un cas, le député tunisien percevrait 1.980 dinars, dans l'autre, 2.880 dinars. Ce qui serait loin des rémunérations qui leur sont allouées et proche des salaires ou bien des gains qu'ils touchaient dans leurs métiers respectifs, qu'ils soient salariés, commerçants ou exerçant une profession libérale. En tout cas, d'après leurs déclarations de revenus. D'ailleurs, ne serait-il pas plus judicieux que nos députés se comparent au peuple qu'ils sont censés représenter? Se demandent certains. Pourquoi n'ont-ils pas dénoncé la grande misère dans laquelle il vit et les différences criantes de niveau de vie entre lui et ses voisins? Ne sont-ils pas les représentants du peuple qui ont la charge de défendre ses intérêts? Le plus révoltant dans la question, d'après certains, c'est le raisonnement développé par Chawket qui soutient que l'Etat ainsi que le peuple tirent tous les deux leur prestige de celui du député. Dans ce cas, le sens en serait profondément altéré et il vaudrait mieux y renoncer plutôt que se couvrir de mauvais fard et vivre dans l'illusion. Quant au grief relatif aux sacrifices consentis au double plan familial et professionnel, plusieurs parties, dont le parti de l'Union populaire républicaine (UPR), tiennent à rappeler à M Chawket et consorts qu'ils ont délibérément choisi d'être députés et qu'ils savent pertinemment bien le corollaire d'un tel statut qui n'est nullement honorifique mais qui les engage à assumer plus de responsabilité envers les électeurs. En outre, l'allusion à l'amélioration des conditions de travail faite par nos députés-syndicalistes est très timide, ce qui nous donne l'impression qu'elle sert à diluer et à maquiller la principale revendication se rapportant au volet matériel. Renforcer le budget du législatif D'aucuns pensent qu'il existe une intention d'affaiblir le pouvoir législatif et d'en faire une force docile et un instrument entre les mains du pouvoir exécutif pour qu'il puisse faire passer ses projets à l'image de la loi de finances complémentaire, la baisse des taux de l'impôt sur les bénéfices, évaluée à 894 millions de dinars, au profit des grandes sociétés, y compris les sociétés pétrolières, des facilitations de l'ordre de 306 millions de dinars au profit des hôteliers, ou bien encore du projet de loi de réconciliation économique et financière. L'argument dont ils usent pour asseoir leur thèse, c'est la différence énorme entre les budgets accordés au gouvernement et à la présidence de la République, qui sont respectivement 150 et 87,4 milliards de nos millièmes, et celui attribué à l'ARP qui est de l'ordre de 22,7 milliards. Donc d'après eux, le problème est politique par excellence, s'insérant dans le cadre d'une lutte non déclarée opposant les deux systèmes, celui de l'ancienne dictature et celui de la démocratie naissante politique et sociale que revendiquent des millions de Tunisiens. Cet objectif ne pourrait être atteint, soutiennent-ils, qu'en dotant le pouvoir législatif de moyens financiers suffisants et respectables, qu'en augmentant sensiblement son budget afin que les députés puissent disposer de moyens de travail confortables, tels que l'installation de bureaux personnels, où ils pourraient vaquer tranquillement à leurs besognes, l'aménagement de locaux dans leurs circonscriptions électorales afin qu'ils puissent se réunir et s'entretenir avec leurs électeurs et s'enquérir de la situation qui prévaut dans ces régions, et la résolution des difficultés de déplacement et de logement pour ceux parmi eux qui sont domiciliés en dehors du grand Tunis, et ce, en essayant de trouver la meilleure formule possible, loin des calculs mercantiles. C'est à ces conditions, toujours suivant les tenants de cette thèse, que les pouvoirs seraient équilibrés et que les députés pourraient s'affranchir du joug de l'exécutif et être à même de remplir comme il se doit leur mission et de servir les intérêts du peuple et de la patrie. C'est ce qu'ils entendent par le renforcement du budget de l'ARP et non pas l'augmentation des salaires des députés. Car, une telle revendication est d'autant plus infondée et injustifiable que l'argumentation prônée par Khaled Chawket de prémunir les députés contre les tentations de corruption trahit une propension à la corruption qui domine chez certains parmi eux, ce qui voudrait dire que quelle que soit la valeur des émoluments et indemnités perçus par cette catégorie de députés, ils ne seraient jamais immunisés contre ces tentations qu'ils auraient dans le sang. Et là, le serment qu'ils ont prononcé n'aurait plus aucune valeur...