Le camp opposé au projet de loi est déterminé à manifester sur l'avenue Bourguiba, à tout prix Théâtre d'événements par excellence, l'avenue Bourguiba, où se déroulèrent, cinq ans durant, toutes les manifestations d'été et d'hiver, abritera-t-elle, ce samedi, la marche pacifique antiréconciliation économique? Pour le ministre de l'Intérieur, Najem Gharsalli, il n'en est pas question, car cela est contraire aux dispositions de l'état d'urgence. L'autre raison qu'il a déjà avancée consiste aussi en des mesures sécuritaires préventives que son département devrait prendre en considération de «sérieuses» menaces terroristes. Ses déclarations ne plaisent guère au camp de l'opposition qui a juré de ne jamais renoncer à son droit de manifester. Mis à part le Front populaire qui a annoncé son retrait du mouvement, voulant faire cavalier seul, la famille socio-démocrate a, quant à elle, décidé de reprendre les devants après son échec cuisant aux élections du 26 octobre dernier. Il s'agit de cinq partis politiques aux couleurs nuancées qui viennent de lancer une coordination élargie de lutte contre le projet de loi controversé relatif à la réconciliation économique et financière. Ce sont, précisément, le Courant démocratique, Al Joumhouri, Etakattol, le Mouvement du peuple et l'Alliance démocratique. Leur réapparition sur la scène se distingue, cette fois-ci, par la force de l'union partisane et le courage des alliés jusqu'au-boutistes. Lors d'une conférence de presse tenue hier à Tunis, ils ont décidé de ne pas faire machine arrière même si les forces de l'ordre vont tout faire pour les en empêcher. Quoi qu'il en soit, la marche devrait avoir lieu sur l'avenue Bourguiba à 15h00. Toutefois, cette avenue, destination de toutes les convoitises militantes, demeure, jusqu'à lundi prochain, fermée à la circulation. Dilemme du défi! Mais la question qui se pose est la suivante : que vont faire ces partis pour gagner la partie ? «Une loi contre-productive» A l'ouverture, la parole a été cédée à Mme Neziha Rejiba, alias Om Zied, une femme militante et indépendante qui a rejoint la Coordination de son plein gré, de par ses convictions personnelles et ses penchants manifestes pour la liberté d'expression. Elle a, d'emblée, exprimé son soutien total à cette initiative collective dont l'objectif commun est de faire pression sur le gouvernement et le parlement jusqu'à ce que ledit projet de loi sur la réconciliation économique soit retiré de l'ARP. «C'est un projet anticonstitutionnel, antidémocratique et contre la bonne gouvernance...», précise-t-elle. Son adoption ne saura résoudre aucun problème financier. D'autant que cette loi contre-productive, s'alarme-t-elle, risque de rouvrir large la porte à la corruption et tolérer l'impunité des corrompus. Un véritable retour de manivelle. Et de conclure, faisant passer le message aux médias, «il n'est plus possible de revenir en arrière ou de sacrifier des acquis de la révolution...». Prenant la parole, le secrétaire général du Mouvement du peuple, Zouhaier Maghzaoui, a abondé dans le même sens. Il a dénonce le retour de la tyrannie et de l'oppression, sous prétexte de l'application de la loi et du respect de l'état d'urgence. Un alibi, dit-il, au nom duquel les mouvements protestataires de la semaine dernière menés par des jeunes, des instituteurs, dans les régions et des agriculteurs devant l'Utap ont tous été, violemment, réprimés. Et de poursuivre que la militarisation de l'espace public est révolue. «Aujourd'hui, plus jamais peur. Personne ne peut faire revenir la Tunisie d'avant-14 janvier...», réplique-t-il, appelant le ministre de l'Intérieur à respecter le droit de manifester et de ne pas user de son pouvoir pour museler la liberté d'expression. «D'ailleurs, cette marche pacifique serait bel et bien la meilleure réponse aux menaces terroristes», estime la secrétaire générale d'Al Joumhouri, Maya Jeribi. «Ces menaces ne devraient guère nous empêcher de nous exprimer librement sur notre refus catégorique de ce projet polémique qui ne fait que blanchir la corruption...», insiste-t-elle. D'autres mouvements seront également au rendez-vous dans les régions. Le S.G. de l'Alliance démocratique, Mohamed El Hamdi, est, aussi, du même avis. Et de réagir à chaud: «Les surenchères politiciennes de Najem Gharsalli ne nous concernent pas». Ce projet de loi est aussi bien anticonstitutionnel que destructeur. D'autant plus que la loi décrétant l'état d'urgence n'est plus en vigueur, devenue, plutôt, caduque. Sur le plan juridique, l'avocat Ayachi Hammami, a indiqué qu'il est possible de demander, par le brais de trente députés au moins, à l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi de déclarer la loi en question anticonstitutionnelle même si elle est adoptée par le parlement comme ce fut le cas pour la loi organique portant création du Conseil supérieur de la magistrature. La loi a été déclarée anticonstitutionnelle par l'Instance et les députés sont obligés de réviser les articles incriminés par la même instance. La marche de samedi serait, ainsi, à double vocation : dénoncer la réconciliation économique et défendre bec et ongles la liberté d'expression. Mohamed Abbou, secrétaire général du Courant démocratique, a affirmée que «la rue est à nous et le droit de manifester est aussi un acquis de la révolution. Qu'il se taise, le ministre de l'Intérieur, quand il parle...».