La maladie, hélas, a finalement eu raison de Fatma Boussaha. Paix à son âme, à un moment, lorsque ses collègues l'ont célébrée à «Carthage», on l'avait crue hors de danger. On va, peut-être, en choquer certains, mais cet hommage du Théâtre romain nous a paru d'un goût douteux. On ne met la sincérité de personne en cause, mais connaître la fatalité d'un mal et (presque) «inhumer» le malade de son vivant prêtait, sûrement, à «brouille». Et ce fut le cas. Aussitôt fait, aussitôt ont surgi les «suspicions». Piteux tollé. Les évocations posthumes de Fatma Boussaha n'inspirent pas trop de «débats» en revanche. Toutes, pratiquement, se sont limitées à la grande popularité de la chanteuse et à ses titres les plus connus. Fatma Boussaha ne se réduisait, évidemment, pas à des succès d'audience et à quelques chansons à succès. On oublie, par exemple, qu'avant, bien avant, de se consacrer à la variété populaire, elle fit partie, début 80, à quarante ans, de la chorale et du ballet de Ismaïl Hattab. Détail importantissime, car c'est très probablement à cette période tardive que la voix de Boussaha a pu parfaire sa force et son talent. Autre chose : la chanteuse est originaire de Zaghouan ; cette partie du nord-est de la Tunisie, dans le prolongement du Tunis urbain et de sa lointaine périphérie, est davantage connue pour sa musique spirituelle (la Azzouzia) que pour des traditions de «malhoun» ou de «salhi». D'où l'on peut déduire que le chant «bédouin» hérité et pratiqué plus tard par la soliste Fatma Boussaha était, pour l'essentiel, directement hérité du répertoire traditionnel du Sahel et du Centre, fief et berceau du maître Ismaïl Hattab. On oublie, par-dessus tout, que le formidable passage de Fatma Boussaha à «Nouba» en 1990 (à près de 50 ans!) à «Carthage», puis à Médenine, puis à Paris, elle le dut, uniquement, à un fulgurant et subtilement complexe «aroubi» (jawali, si l'on ne s'abuse) fort répandu dans le Sud saharien. Le «noyau dur» de l'itinéraire de la chanteuse était, donc, basé sur le chant classique des régions. Ce chant si ardu, au découpage asymétrique, aux notes impossibles et à l'intonation altière, dont Mourad Sakli raconte (étude en date de 2009-2010) «qu'il fut interdit à la cour des beys parce que les chanteurs influents de la capitale se découvraient inaptes à l'interpréter». La Boussaha de «Nouba», la disciple de Ismaïl Hattab, était de ce calibre, touchait à ces hauts registres. Et, ce n'est nullement faire offense à sa mémoire (ni ne l'était avant) que de regretter qu'elle ait choisi, un jour, de plonger dans le «mezoued»bon marché. Fatma Boussaha aimait à le rappeler :elle a beaucoup trimé «chemin faisant», «tôt ou tard, elle se devait de gagner sa vie en faisant, simplement, son métier». Des regrets, pardon, encore, d'en faire l'aveu, mais à l'heure des séparations, à l'heure des bilans, l'Art ne s'accomode que de vérité. De toute la vérité. Ce que fut la vérité artistique de Fatma Boussaha ? Un génie vocal vite mis «en réserve», vite «bradé» ; et deux décennies de «triomphe» pour «Ammi echifour» et autres du même acabit.