On ne pouvait mieux commémorer la musique de Tahar Gharsa qu'en confiant à son fils prodige, Ziad Gharsa, ce concert L'Institut rachidien célébrait, lundi, au Théâtre municipal de Tunis, la mémoire d'une de ses icônes historiques, le regretté Tahar Gharsa. Tahar Gharsa nous a quittés le 10 juin 2003. Dix années déjà! Mais sa présence nous manque comme hier. Elle manque à la Rachidia où il reprit avec talent et érudition l'œuvre des fondateurs. Elle manque à tous ceux qui suivirent son enseignement et admirèrent ses musiques et ses chants. Elle manque à la musique tunisienne tout entière à laquelle il voua fidélité et passion. Elle manque surtout au fils prodige, Ziad Gharsa, brillant dépositaire du legs, qui aura proposé, à l'occasion, une évocation éblouissante, émouvante, digne de l'illustre père et maître. On n'exagérera pas vraiment en affirmant que ce concert-hommage (intitulé à juste titre «Wafa») a exprimé en choix de répertoire, en prestation de chant et en exécution d'orchestre, l'idéal musical parfait du grand disparu. Tahar Gharsa prônait et pratiquait le malouf, à la fois, dans le strict respect des sources, dans la conformité à la tradition, et la recherche du plaisir pur de l'écoute. Ce fut le cas, lundi, avec (toutes, compositions du maître) une «wassla H'ssine» d'un tempo «Aïssaoui» brûlant, des séries savoureusement effrénées de «brawels», «khetms» et «hroubs», outre le chef-d'œuvre incontesté Naourt Lakhtem. Les intonations et les rythmes de l'Andalousie sévillane, comme elles épousèrent, il y a six siècles, nos magnifiques chants de confréries. Il y aurait applaudi ! Tahar Gharsa affectionnait aussi les «prologues» de quassids et de aroubis. C'était une école des «impros». Nous y eûmes également droit. A loisir, et dans une succession impressionnante de trouvailles et de performances. Zied Gharsa a particulièrement excellé dans le traitement du mode «isbahane», finals sur le ton grave, emplis de charme et de majesté. De même que dans un passage «salhi», à la façon du grand Ismaïl El Hattab, mais «miraculeusement» ponctué d'accents citadins. Fusion rare, pratiquement «inédite». Moments saisissants! Mais le cheikh de malouf se distinguait surtout par son répertoire de chansons populaires, ancrées dans nos touboûs typiques. Celles qui firent sensation dans les années 1960-1970 et qui ont rejoint, depuis, le meilleur de notre patrimoine classique. Les compositions personnelles, aussi bien que les «foundous» anciens, «remis au goût du jour», finement adaptés. Là aussi ce fut un régal. Zied Gharsa a choisi les titres qui illustrent le mieux l'inspiration et la créativité mélodique du maître : «Osbor wi tman», «El Jabia wil bir», «Fah El Anbar», «Souda Gattala», «Ya Nhar Lbareh», et comme bonus, pour bien conclure, les non moins fameuses et appréciées El wachma et El Meguiess. Et tous ces joyaux du patrimoine, interprétés dans une justesse, une sensibilité et une force de prouesse vocale exceptionnelle. Rarement, très rarement, Ziad Gharsa aura atteint cette qualité. Nous avons connu Tahar Gharsa. Il était généralement «avare» de ses compliments. Il ne les aurait sûrement pas retenus s'il avait été présent à la Bonbonnière, ce lundi 24 juin.