Pour les supporters, la passion pour le Club Africain n'occupe pas seulement leur quotidien, elle forme la trame sensible des principaux jalons de son existence. C'est une affaire de tradition et d'identification fusionnelle à des couleurs qui symbolisent la plénitude et la réussite d'une insertion. Certains parmi les pensionnaires de la «Curva Nord» sont dès leur plus jeune âge bercés par les mélodies des chants qu'entonnent les viragistes pour encourager leur équipe. Des mélodies qui enrichissent de manière permanente un répertoire choral déjà riche et varié. Parmi tout ce beau monde, les Ultras occupent un espace bien délimité dans le virage nord du stade (à El Menzah et à Radès), formant la cohorte la plus bruyante mais pas nécessairement la mieux organisée d'un public jeune (quoique les restrictions et les limites d'âge contraignantes aient quelque peu vieilli le gros des troupes). Ce sont ces mêmes supporters, issus principalement des agglomérations populaires tunisoises qui se sont déchaînés, les uns contre les autres récemment à Radès lors du derby. Cela dit, si cette répartition du public dans le stade reflète dans ses grandes lignes la géographie sociale du Grand-Tunis, opposant les supporters tumultueux des virages nord à une assistance traditionnellement bourgeoise, provenant des quartiers méridionaux, la tendance a quelque peu évolué, puisque le véritable show n'a pas lieu sur les travées des enceintes ou des tribunes officielles. Trajectoire et transition Ce faisant, depuis quelques années, de plus en plus de supporters garnissent les places centrales du côté des gradins, évitant et se tenant désormais en marge du noyau dur du commando (les Capos et leur «état-major»). Raison invoquée : primo, l'espace est moins compté et le public est moins impulsif, comme nous l'a relaté un assidu du stade. Pour un grand nombre de supporters passionnés mais pas à l'extrême, il faut briser ce cloisonnement entre les rives (nord et sud) et donner une image plus homogène de l'enceinte sportive. Car cette transition du nord au sud symboliserait surtout la trajectoire idéale pour entonner à cœur, délivrer le même message et se découvrir des affinités humaines autres que celles relatives au football. Vecteur d'intégration, le sport-roi filtre en effet un profond désir de reconnaissance et de promotion. De spectateur anonyme, le supporter devient objet de spectacle, reconnu par ses affidés mais aussi par les dirigeants du club, et même interviewé par des journalistes (Foued Oueld Ammara). L'affirmation de cette identité sociale dans l'espace du stade, la sociabilité de groupes de pairs que scellent, match après match, des retrouvailles sur les mêmes gradins, la symbolisation des drames, des joies, des étapes de l'existence (la relégation, la promotion, la victoire, la défaite) et, chez certains, une ferveur pétrie de religiosité qui tente d'apprivoiser le sort par une profusion d'attitudes et de symboles propitiatoires. Tout cela a un nom: la magie du football. Le CA représente dans ce contexte tout un univers qui oppose à la nostalgie d'un passé glorieux l'incertitude du présent que symbolise la superbe du club de Bab Jedid. Pourquoi le football, plutôt qu'un autre sport, suscite-t-il aujourd'hui autant de ferveur et d'engouement chez les supporters ? Parce qu'il s'agit bien là d'un rituel, d'un cérémonial, un véritable référent universel pour les aficionados.