Le paysage des supporters de l'Etoile est un peu complexe. Entre groupes luttant pour défendre "leur territoire", leur fidélité à l'Etoile et leur "allergie" à l'encontre des autres supporters des grands clubs, ce n'est pas toujours évident... Depuis exactement 2001 et par effet d'imitation, la ville de Sousse a vu des jeunes de quartiers s'associer en groupes de supporters indépendants, sans aucun statut juridique, pour soutenir leur équipe favorite : l'Etoile Sportive du Sahel. Fascinés par l'ambiance et l'animation dans les grands stades européens, ces jeunes ont eu l'idée de créer " Un cop " semblable à celui du " Commando Ultra " de l'Olympique de Marseille ou à celui du " Boulogne Boys " du PSG ou de " La Brigade Sud " de l'OGCNice. C'est une catégorie de supporters apolitiques appartenant à une tranche d'âge allant approximativement de 15 à 25 ans qui s'organise en une structure indépendante vis-à-vis du bureau directeur et ayant pour philosophie de sortir des sentiers battus pour encourager leurs favoris et créer une animation particulière dans les virages. Leurs mots d'ordre sont: l'audace, la créativité et la loyauté aux couleurs du club.Ils se démarquent des autres spectateurs par leur tenue uniforme et par leur entassement dans les travées des virages.Ces associations de supporters s'autofinancent par divers moyens: la quête, la vente de gadgets, de casquettes, de t-shirts et de fanions du club et la donation d'hommes d'affaire et de sympathisants de l'équipe. Comme en Europe, ces groupes connus sous le nom d'"Ultras" dans les pays latins et de "Hooligans" dans les pays anglo-saxons ont souvent des relations heurtées et tendues avec les autorités policières en particulier. Selon les sociologues et les psychologues, ce phénomène social, de plus en plus répandu dans les quatre coins du monde, n'est qu'une image du conflit de générations. Ce sont des jeunes qui cherchent à affirmer leur existence, à exprimer un moi étouffé par de nombreux tabous, à s'identifier à des valeurs autres que celles que leur propose le monde adulte. C'est une quête d'existence et de liberté qui débouche inévitablement sur des relations conflictuelles, sur la rupture et sur un dialogue de sourds."C'est à la fois un poids et une fierté pour le club" , nous confie Kais Achour, le président du comité des supporteurs de l'Etoile du Sahel, en parlant de ces groupes et de ces associations." C'est un poids, dans la mesure où les dégâts commis dans les gradins et les fumigènes lancés sont facturés aux clubs concernés.C'est aussi une fierté car ces jeunes, par leur ferveur et par leur passion, poussent les joueurs à se surpasser et à donner le meilleur d'eux-mêmes.C'est le véritable 12e homme aussi bien à domicile qu'à l'extérieur" , ajoute-t-il. Des fameuses "Brigades Rouges" de 2001 aux " No Fear "de 2010", ils sont actuellement au nombre de 6 groupes de supporters qui soutiennent l'Etoile du Sahel.Mais , historiquement parlant, il faut remonter à l'année 2001 pour voir la création du premier noyau appelé " Brigades Rouges ". Des groupes de jeunes fervents supporteurs inspirés par les autres clubs du pays et par les virage d'Europe et d'Amérique latine se sont lancés dans l'aventure de créer la " Nostra Curva " ou la " Pelouse Ultra " au stade olympique de Sousse. Progressivement, le nombre de "Brigadiers" n'a cessé d'augmenter. Des adolescents enthousiastes vis-à-vis de cette innovation ont adhéré spontanément au mouvement et l'on commençait à se bousculer pour accéder à ce " Cop" étoiliste pour prendre part à son festival de chants et de couleurs et pour participer à ce délire juvénile et à cette frénésie émancipatrice.Enveloppés dans des t-shirts " rouges", flanqués de la photo du camarade Che Guevara, la figure révolutionnaire emblématique du groupe, les Brigadiers entonnent à cœur joie leur hymne et leurs chants glorifiant leurs idoles.Avec le temps, la " Pelouse Ultra " change de nom et porte désormais l'appellation du virage " Diabolo Rosso ". Malgré les difficultés rencontrées, les pressions exercées par les autorités et l'hostilité médiatique manifestée haut et fort à l'égard de ce phénomène social, le " Cop " des supporteurs étoilistes ne faisait que s'agrandir en nombre, séduit par l'ambiance carnavalesque du chaudron du stade olympique de Sousse.Tous sont fiers de leur appartenance à ce groupe et l'exhibent fièrement. Des amateurs informaticiens, des élèves et même des universitaires prennent part à cette "folie de jeunesse" et créent un site sur Internet, un espace virtuel " B.R 01 " pour permettre de communiquer avec tous les fans du club à travers tout le pays et au - delà des frontières. Le phénomène fait tache d'huile et monte en puissance.De nouveaux groupes voient le jour. Tour à tour et au fil des années, " les Fanatics " en 2003; les " Sahélianos " en 2007, les "Hools Squad" ( l'escadrille des hooligans ) en 2009, les "No Fear" ( sans crainte ) et les" Reds Fans " en 2010 consolident le paysage des associations de supporters du club phare du Sahel. Relations de complémentarité ou d'exclusion entre les différents noyaux des " Ultras"? Artisans de la révolution De l'avis de Kaïs Achour, "les rapports entre les différents groupes sont souvent tendus.La raison est simple : chaque groupe revendique la suprématie et le droit de chapeauter l'animation dans les gradins du stade olympique de Sousse. Certes, ils sont tous unis pour la même cause, mais il est très rare de les voir accorder leurs violons et chanter à l'unisson. D'ailleurs, ils se sont partagé les zones d'action de soutien et d'encouragement au stade.Chaque groupe défend son " territoire " dehors becs et ongles et gare à celui qui empiète sur le terrain de l'autre.Cela donne souvent lieu à des batailles rangées entre les clans rivaux. Le comité des supporteurs a beau intervenir pour apaiser les tensions, la mésentente persiste encore.Il suffit que l'Etoile sorte victorieuse pour que les esprits se calment." tient-t-il à préciser. Pour ce qui est des relations qu'ils entretiennent avec le CD, elles sont presque inexistantes, du fait qu'ils préfèrent agir librement.Avec le comité des supporteurs, le courant passe mieux et on a tendance à se concerter et à collaborer, surtout pour organiser les déplacements lorsque l'équipe joue loin de ses bases", ajoute - t - il. Et de poursuivre: "L'éternel problème demeure sans doute les rapports avec les groupes de supporteurs des équipes rivales.Sans détours et sans complaisance, reconnaissons que le fait de voir dans un proche avenir en Tunisie des supporters étoilistes féliciter des fans espérantistes ou clubistes tunisois ( pour ne citer que ceux - là ) et inversement pour une victoire remportée ou pour un titre national ou continental acquis est presque illusoire et chimérique.C'est une mentalité ancrée depuis belle lurette et aiguisée par un conflit d'intérêts politiques et économiques" déplore-t-il ." Tant que l'obsession des résultats immédiats hante les esprits des dirigeants et des premiers responsables des clubs et tant qu' on fait fi de l'éthique sportive et des valeurs nobles du sport, il faut s'attendre à ce que les supporters leur emboîtent le pas et cultivent le sentiment d'hostilité et de haine à l'égard des clubs adverses.A ce niveau, nous avons tous du pain sur la planche pour assainir l'ambiance sportive dans le pays et pour bannir le fléau de la violence dans les arènes du sport." , souligne-t-il. Toutefois, que ce soit à Gafsa, Kasserine, Sidi Bouzid, Tunis, Sfax, Sousse ou dans les quatre coins de la Tunisie, il faut se rendre à l'évidence que les amateurs de football, les supporteurs; les groupes " Ultras"; les fauteurs de trouble dans les stades ont été les grands animateurs de la révolution du 14 janvier.Ils se sont manifestés dans les rues, ils ont scandé des slogans, entonné l'hymne national, participé à des sit-in à la Kasbah et ailleurs.De ce fait, il faut s'attendre à ce qu'ils fassent tous des efforts pour protéger et consolider les acquis de ce mouvement révolutionnaire.Cette prise de conscience devrait les conduire à s'inscrire dans une nouvelle dynamique du fair -play et du respect de l'éthique sportive pour éradiquer toutes les formes de violence, de fanatisme et de chauvinisme d'antan.Cela nécessite du temps, de la sensibilisation et de la patience.La rupture avec le passé ténébreux est envisageable.Les premiers signes prometteurs de réconciliation et de fraternisation commencent à germer et donnent des espoirs pour un printemps radieux pour notre Tunisie libre et démocratique. Croisons les doigts!