Par Jawhar CHATTY Ce n'est pas une partie d'échecs à laquelle se livrent depuis quelques jours les députés de l'opposition et de la majorité à l'ARP. Pourtant, ce sont des pièces maîtresses de ce jeu de grande stratégie qui, dans un exercice de pouvoir et de contre-pouvoir, se trouvent manœuvrées, à l'occasion de la discussion et du vote en plénière de la loi de finances 2016. L'article 66 de la Constitution stipule : «La loi de finances est votée au plus tard le 10 décembre de chaque année». Celle de l'exercice 2016 a été adoptée vendredi 10 décembre dans la soirée. Limite, limite mais cela s'est fait dans le strict respect des délais constitutionnels. Ladite loi a été adoptée par 142 voix pour, 7 abstentions et... aucune voix contre, l'opposition ayant boudé le vote. Objet de polémique, l'article 61 de la loi de finances relatif aux infractions fiscales et de change. Les députés de l'opposition y voient une manœuvre de la majorité au pouvoir de faire passer dans la loi de finances des dispositions ayant trait au projet de loi sur la réconciliation économique. L'article 61 est d'ailleurs qualifié de «cavalier budgétaire». Dans la procédure parlementaire, on parle de «cavalier» pour désigner un amendement qui ne rentre pas dans le domaine du projet de loi examiné. Le cavalier est dit budgétaire quand il tente d'introduire dans une loi de finances des dispositions autres que financières ou liées au contrôle parlementaire. Et c'est en se basant sur l'article 66 de la Constitution que la majorité des députés de l'opposition ont décidé d'intenter un recours en inconstitutionnalité contre les dispositions de la loi de finances, en l'occurrence l'article 61, devant l'instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois. Le président du bloc du Front populaire a tenu à souligner «qu'en tant que minorité en face d'une majorité, nous craignons que chaque année, durant ce mandat de 4 ans, des articles controversés soient adoptés toujours dans le cadre de la loi de finances». C'est cette crainte qui nous intéresse ici. Que la majorité au pouvoir ait ou non voulu faire passer dans la loi de finances 2016 des dispositions en rapport avec la réconciliation économique et financière importe bien moins que la réaction suscitée par une telle attitude. Le réflexe dont a fait montre l'opposition à l'ARP est digne des grandes démocraties. Peu importe, au demeurant, si, par le recours pour inconstitutionnalité de la loi de finances, les députés de l'opposition prêchent dans le désert, l'essentiel est que les mécanismes de l'exercice parlementaire et du jeu du pouvoir et des contre-pouvoirs entrent en branle chaque fois que cela est nécessaire. Faire fonctionner ces mécanismes leur évitera l'ankylose et l'atrophie, qui seront annonciatrices d'un retour au Parlement-chambre d'enregistrement ! Pour une jeune démocratie en devenir, il n'y a jamais un garde-fou de trop.