Par Hmida BEN ROMDHANE Compte tenu de la situation explosive dans la région Golfe-Moyen-Orient, compte tenu des guerres destructrices qui endeuillent plusieurs pays, compte tenu de l'ampleur du fléau terroriste qui fait des ravages, un gouvernement responsable devrait normalement s'abstenir de prendre des décisions dont l'unique effet est d'accroître les tensions politiques et d'aiguiser les rancœurs confessionnelles. Ce n'est pas le cas du gouvernement saoudien dont les politiques vis-à-vis du Yémen, de la Syrie et de l'Iran s'apparentent à une désastreuse fuite en avant. Le tollé international provoqué par l'exécution de Cheikh Nimr Al-Nimr, samedi 2 janvier, a mis l'Arabie Saoudite dans une situation intenable. Les chiites en Iran, en Irak, au Liban, à Bahreïn, au Pakistan, en Turquie et ailleurs sont dans un état de fureur. Les critiques acerbes fusent de partout, y compris des alliés de l'Arabie Saoudite, et en particulier des Etats-Unis, inquiets des conséquences de l'exécution du dignitaire chiite sur les efforts diplomatiques visant à ramener la paix dans la région. L'Arabie Saoudite a exécuté 47 personnes, dont 46 appartenant à Al Qaïda et accusées d'actes de terrorisme. En mettant Cheikh Nimr Al-Nimr au milieu de ce grand nombre de terroristes d'Al Qaïda face au peloton d'exécution, les responsables saoudiens souhaitaient le faire passer comme un terroriste parmi d'autres et minimiser ainsi les réactions internationales et les accusations d'acharnement anti-chiite. Ces calculs se sont avérés faux. La presse mondiale a quasiment ignoré les 46 exécutions de terroristes d'Al Qaïda et mis tous ses projecteurs sur le prédicateur chiite saoudien. Quant aux manifestations à travers le monde, les protestataires ne scandaient que le nom de Nimr Al-Nimr et ne brandissaient que sa photo. Après le drame du pèlerinage de septembre dernier qui a fait 2400 morts, dont 450 Iraniens, l'Arabie Saoudite a-t-elle vraiment besoin d'envenimer encore plus ses relations avec l'Iran ? La question mérite d'autant plus d'être posée que Cheikh Nimr Al-Nimr n'est pas un terroriste. Il réclamait l'égalité des droits de tous les citoyens saoudiens qu'ils soient sunnites ou chiites. Il rejetait le recours à la violence, affirmant que les manifestants devaient résister « par le rugissement des mots plutôt que par les armes ». Il n'a donc rien à voir avec les 46 autres condamnés à mort qui, eux, prônaient la destruction du régime saoudien, tout en commettant des attentats terroristes ayant provoqué des morts et des destructions. Il n'est pas étonnant, dès lors, que son exécution soit considérée par les chiites d'Iran, d'Irak, du Liban et d'ailleurs comme une provocation gratuite, ce qui ne peut que nourrir les haines confessionnelles qui déchirent déjà la région. L'Iran et l'Arabie saoudite sont indirectement en guerre au Yémen et en Syrie et en rivalité dans bien d'autres pays. En dépit de cela, les relations diplomatiques entre les deux pays n'ont pas été altérées (l'ambassade saoudienne à Téhéran et le consulat à Machhed fonctionnaient normalement jusqu'au samedi 2 janvier), avant d'être finalement rompues, dimanche, les Saoudiens ayant donné 48 heures à l'ambassadeur iranien pour quitter le pays. Pourtant, les autorités iraniennes se sont comportées de manière responsable en s'opposant aux manifestants qui tentaient de mettre le feu à l'ambassade et en procédant à l'arrestation d'une quarantaine d'entre eux. En optant pour la rupture de tout contact avec son ennemi iranien, l'Arabie Saoudite ne semble pas prendre la voie de l'apaisement, bien au contraire. Cette fuite en avant pourrait être très dommageable pour l'Arabie Saoudite dont les stratégies agressives au Yémen et en Syrie et la politique, pour le moins inamicale vis-à-vis de l'Irak, n'ont fait que multiplier les ennemis du royaume saoudien qui s'est laissé happer par un engrenage infernal. En d'autres termes, plus l'establishment politico-religieux saoudien se sent menacé, plus il fait preuve d'agressivité et plus il multiplie les ennemis. La panique est mauvaise conseillère, et les dirigeants saoudiens sont visiblement désorientés depuis qu'ils ont été littéralement terrassés par la signature de l'accord nucléaire entre l'Iran et les 5+1 et par la normalisation des relations américano-iraniennes. Désorientés, ils le sont aussi par la disproportion de plus en plus criante entre leurs engagements contre les Houthis au Yémen et le régime de Bachar Al Assad en Syrie d'une part, et, d'autre part, la réduction de plus en plus prononcée de leurs moyens financiers, conséquence de la baisse brutale du prix du pétrole. Dans la situation inextricable dans laquelle se trouve l'Arabie Saoudite, son intérêt vital n'est pas dans les stratégies bellicistes et la multiplication gratuite d'ennemis, mais dans une politique d'apaisement avec les voisins et d'engagement diplomatique sérieux dans la résolution des conflits en cours. Cela suppose quelques décisions courageuses, dont l'arrêt immédiat de la guerre au Yémen, l'apaisement avec l'Iran et l'arrêt du financement du terrorisme en Syrie et en Irak. Mais au train où vont les choses, ces souhaits risquent de rester des vœux pieux. Car leur concrétisation nécessite la présence de dirigeants braves, courageux, rationnels et sachant évaluer l'intérêt de leur pays et de leurs peuples.