Il est temps de trouver une solution aux travailleurs des chantiers appelés à s'organiser en une coordination syndicale La déferlante protestataire, qui continue à envahir les rues et les grandes places publiques, gagne encore du terrain, traînant dans son sillage des milliers parmi les ouvriers des chantiers, très longtemps, laissés-pour-compte, sans aucune couverture sociale. Injustement remerciés, ils n'ont rien demandé que la régularisation de leur situation à travers leur réintégration dans la fonction publique. Or, ce domaine fort prisé par les jeunes postulants semble être excessivement saturé, au point de ne plus, désormais, absorber autant des recrutés. Sous pression, le gouvernement n'a, pourtant, jamais révélé cette réalité amère. Le dossier de ces ouvriers dits temporaires, aussi provisoire soit-il, refait, aujourd'hui, surface. Il est d'autant plus compliqué qu'il navigue, toujours dans l'ambiguïté et l'opacité totale. Révoltés, une dizaine des travailleurs, abusivement licenciés, se sont dirigés, hier, vers le siège du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes), pour protester contre le silence du gouvernement face aux manipulations dilatoires dont ce dossier aussi brûlant souffre depuis des années. Répondant à l'appel, le forum a tenu, à l'occasion, une conférence de presse, au cours de laquelle ce secteur, classé comme emploi précaire, a été mis sous les projecteurs. L'objectif est d'exprimer leurs doléances et leurs revendications, et de faire entendre leur voix. Ainsi, il a présenté son rapport élaboré sur «le traitement injuste et arbitraire du dossier des travailleurs des chantiers». Entamé à l'aube de l'Indépendance, le travail aux chantiers a été perçu, à l'époque où le pays avait eu besoin d'être complètement reconstruit, comme une sorte de solution au problème du chômage touchant notamment une large catégorie sociale assez vulnérable. Et depuis, ces travailleurs, à titre permanent ou temporaire, n'arrivent pas à joindre les deux bouts, vu qu'ils continuent à toucher des salaires modiques, toujours estimés en-deçà du salaire minimum garanti (Smig) et du seuil fixé par la loi et stipulé par tous les accords et les conventions y afférents. Qu'il s'agisse des chantiers agricoles ou ceux relevant du service tertiaire dans les régions (gardiennage, propreté, reboisement forestier...), son potentiel effectif se compte, aujourd'hui, par dizaines de milliers. Faute de statistiques bien établies, l'on parle, jusqu'en 2014, de quelque 100.000 travailleurs. De même, le chargé de ce dossier au sein de l'Ugtt, M. Ahmed Maghraoui, ne possède guère de chiffres précis. D'autres parlent d'un nombre approximatif variant entre 50 et 70 mille ouvriers. Et M. Maghraoui de préciser que la situation des bénéficiaires inscrits avant et après l‘an 2000 jusqu'en 2010 a été régularisée, dans le cadre des accords de conventions signés avec l'Ugtt. Reste, actuellement, une troisième tranche de presque 4.000 ouvriers sur un total d'environ 13 mille personnes réparties sur les différentes régions du pays dont l'intégration a été réalisée, selon le fameux mécanisme 16, sur deux tranches en 2013 et 2014. Sans pour autant oublier l'état dégradant d'une telle activité exercée en dehors de la loi en vigueur, privée de toutes prestations sanitaires et sociales. Aux dires du syndicaliste de l'organisation ouvrière, son mode de recrutement est soumis, plus souvent, à la politique des deux poids deux mesures. Il l'a qualifié dû dossier de toutes les contradictions politiques, juridiques et économiques, étant donné qu'il n'y a aucune cohérence dans son traitement au cas par cas. De quoi, également, s'est étonné l'économiste membre du Ftdes, M. Abdeljalil Bedoui, surtout en l'absence d'une certaine stratégie basée sur des données chiffrées liées à ce sujet. «Il est inadmissible de voir cette catégorie démunie souffrir dans sa chair, sous l'emprise des conditions professionnelles et matérielles assez difficiles», souligne-t-il. «D'autant plus, s'exclame-t-il, qu'elle se trouve, aujourd'hui, en marge de l'œuvre de développement intégral, ne jouissant d'aucune couverture sociale. Car, la loi des caisses sociales exige que l'affilié cotisant doit toucher, du moins, une rémunération égale ou supérieure au Smig pour qu'il ait droit à la santé et à la pension de retraite. Il n'est pas acceptable, qu'après la révolution, les travailleurs des chantiers vivent une situation pareille». Cette situation, résume-t-il, est due, essentiellement, à l'échec d'un modèle de développement qui n'est plus créateur des richesses ni pourvoyeur d'emplois. Pour conclure, il recommandé aux ouvriers contestataires «de s'organiser dans une coordination syndicale en mesure de défendre leur droit à un travail décent, au vrai sens du terme. Sinon, ce dossier pourrait être une bombe à retardement».