Un détour par l'histoire des femmes dans les pays musulmans au moyen âge et un éclairage sur les zones d'ombre qui l'entourent L'Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts, Beit al-Hikma, a invité la professeur Mounira Chapoutot-Remadi à s'exprimer sur un thème passionnant, qui a drainé un public d'universitaires, de jeunes chercheurs et d'amateurs d'Histoire. Il s'agit d'un éclairage sur «Les femmes dans les villes du monde arabe et musulman médiéval», une rencontre qui s'inscrit dans le cadre des conférences académiques de Beit al-Hikma. «Le contenu de cette conférence sera publié par l'Académie puis il va paraître dans un recueil de mes publications», nous a expliqué la professeur émérite de l'Université de Tunis et chef de département des sciences humaines et sociales à Beit al-Hikma. Pour entrer dans le vif du sujet, et avant d'arriver à la contribution féminine dans l'urbanisation et la construction de monuments dans les villes du monde arabe et musulman, la conférencière a commencé par un clin d'œil à des femmes dont les noms ou la légende sont liés à l'architecture. Athéna, déesse de la sagesse, a donné son nom à la ville d'Athènes alors que Didon, dont la légende raconte qu'elle a obtenu la terre sur laquelle elle a bâti Carthage grâce à une peau de bœuf, n'a pas donné son nom à la cité punique. De là, l'histoire nous mène au monde musulman médiéval, à travers des femmes savantes ou qui ont contribué à transmettre le savoir. Dans le Maghreb, l'exemple le plus éloquent est celui de Fatima al-Fihriya, née au 9e siècle à Kairouan, et qui a fondé à Fez au Maroc la plus ancienne université du monde arabe et musulman, la mosquée Al-Qarawiyyîn, en 862. Quelques autres exemples sont connus, tels que ceux de la poétesse andalouse Wallada bint al-Mustakfi et la syrienne Aisha al-Baouniya. Cette dernière a écrit une biographie du Prophète. «Un des rares textes qui la cite énumère une longue liste d'ouvrages qu'elle aurait écrits, mais très peu en restent», explique la conférencière. Dans le même temps, souligne Mounira Chapoutot-Remadi, l'absence de textes écrits parvenus de femmes savantes est aussi criante que le sexisme du langage, faisant que l'Histoire et la langue avec laquelle elle est écrite sont un produit purement masculin. Historiens et hagiographes de l'époque n'accordaient pas d'importance au savoir que pouvaient produire les femmes. Elles étaient en effet définies et présentées dans les ouvrages en rapport avec un savant de leurs familles (femme de, mère de...) ou en rapport avec des savants auxquels elles auraient transmis leur savoir. A titre d'exemple, ces ouvrages ne s'intéressaient point à leurs vies et ne mentionnaient que rarement leurs dates de naissance ou de décès. Parmi ces théologiens, Ibn Taymiyya, qui était resté toute sa vie célibataire, qui était très proche de sa mère et dont le rapport aux femmes a influencé ses écrits. Savoir ambigu et confrontation de cultures Mounira Chapoutot-Remadi a avancé quelques statistiques sur les femmes des villes du monde arabe et musulman médiéval qui ont reçu un enseignement. «Il y a 1.075 biographies de femmes. 411 ont reçu une certaine éducation», recense-t-elle. Selon les descriptions des historiens, elles recevaient ce savoir, oral, derrière un rideau. Rares sont celles dont le savoir dépasse l'apprentissage du Coran ou de la biographie du Prophète, savoir cautionné par un certificat de lecture. «Il s'agit majoritairement d'un savoir religieux. A part la poésie, il y a très peu de savoir profane attribué à ces femmes», ajoute l'intervenante. Mais qui sont-elles? La chercheure nous informe pendant la rencontre, animée par l'historien Ammar Mahjoubi, qu'elles sont en général des femmes du palais, en majorité arabes et libres à qui revient le savoir. En architecture par contre, ce sont des femmes esclaves de différentes origines qui ont financé et commandé des monuments, en Egypte par exemple pour les Mameloukes circassiennes à qui reviennent plusieurs maisons et palais au Caire. Ces femmes ont vécu dans des sociétés très cosmopolites marquées par une confrontation entre une culture populaire, de subalternes dont elles faisaient partie, et celle du dominant, du palais, qui l'emportait dans les écrits des théologiens. Leurs cultures, celles de leurs parents et d'avant leurs prises en esclavage, s'exprimaient donc à travers leurs œuvres et les monuments qu'elles ont érigés et étaient longtemps ignorés par l'Histoire officielle. De quoi conclure, comme l'a fait Mounira Chapoutot-Remadi durant la conférence, que la question soulevée est loin d'être simple, et que, à notre tour aujourd'hui, nous devons jeter un regard dénué d'essentialisme et d'exotisme sur l'histoire des femmes savantes dans l'islam médiéval, et surtout maintenir un regard critique sur l'Histoire, telle qu'elle est.