L'annonce du lancement de discussions en vue de «l'Aleca» a été accueillie d'une manière particulièrement critique de la part d'un groupe d'associations. Retour sur les raisons d'une inquiétude sur les droits économiques et sociaux Le 15 février a été voté au Parlement européen un texte relatif à l'ouverture de négociations au sujet d'un «Accord de libre-échange complet et approfondi» (Aleca) entre la Tunisie et l'Union européenne. Cet accord, en réalité, est évoqué dans les coulisses des institutions européennes depuis janvier 2011, mais sa mise sur la table attendait les conditions d'une stabilisation politique. On sait aussi que des discussions préliminaires ont eu lieu à l'initiative de la Commission européenne l'année dernière et que la visite du chef du gouvernement, Habib Essid, en mai dernier à Bruxelles a permis de donner une tournure plus concrète à ce projet... On note cependant que l'annonce du vote au Parlement européen a été accompagnée de la publication d'une déclaration émanant de la société civile dont le ton est particulièrement critique. Cette déclaration «déplore le manque de perspectives de développement social» d'un accord qui, dans la forme actuelle de son contenu, «se contente d'un transfert des normes européennes vers la Tunisie». Elle «alerte» sur la dissymétrie qu'induit cet accord en termes de relations économiques, étant donné la différence de compétitivité entre l'entreprise tunisienne et l'entreprise européenne. Elle attire l'attention également sur le danger d'une perte de marge de manœuvre de l'Etat tunisien, en tant que pouvoir de régulation, face à «l'obligation de protéger l'investissement au nom de la libre concurrence». De graves inquiétudes s'expriment encore au sujet de l'impact sur les «droits économiques et sociaux» d'un tel texte, en termes de précarité des emplois, de faiblesse de la protection sociale, de pertes aussi en ressources fiscales... L'offre émane de l'Europe Notons que cette déclaration de la société civile a été signée par quelque 19 associations tunisiennes, parmi lesquelles l'Union générale du travailleur tunisien (Ugtt), le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) et la Ligue tunisienne des droits de l'Homme. Mais aussi par des associations européennes, et en particulier françaises comme l'Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne (Attac). Mais, au-delà des appréhensions que suscite l'accord, il y a des objections qui sont formulées au niveau du principe. M. Abdeljlil Bédoui, membre du comité directeur du Ftdes, les résume pour sa part en termes, assez pertinents : comment s'engager dans une négociation autour d'un accord de libre-échange avec l'Union européenne sans faire de bilan de l'ancienne expérience, à savoir celle de l'accord signé à Barcelone en 1995... «Nous avons besoin d'un bilan objectif pour savoir si l'ancien accord n'a pas débouché sur des faiblesses, des dysfonctionnements, des déséquilibres aggravés... S'il n'a pas plutôt accentué qu'atténué les déséquilibres». Pour cet économiste, une nouvelle négociation se doit impérativement d'améliorer ce qui existe et ne peut pas faire table rase de l'expérience passée, en se contentant de généraliser des mesures de libéralisation... Il ajoute que si nous voulons entamer des négociations avec l'Union européenne en vue d'un nouvel accord de libre-échange, nous devons nous demander ce que nous voulons, ce que nous en attendons. «Nous ne sommes pas demandeurs, rappelle M. Bédoui, l'offre émane de l'Europe...». Certes, reconnaît-il, nous pouvons avoir un intérêt dans cet accord, mais à condition, insiste-t-il, que nous ayons une idée claire sur ce que nous désirons. Et de préciser encore que le texte existant de l'accord émane d'un bureau d'étude qui a travaillé sous les ordres de la partie européenne et qui, par conséquent, est acquis à sa cause. L'étude d'impact qui a été réalisée affirme que nous, Tunisiens, serions bénéficiaires. Or, fait valoir Abdeljlil Bédoui, c'est à nous de faire cette étude : à nous d'exprimer nos préoccupations, qui ne sont pas forcément les mêmes que les leurs, surtout en termes de respect des droits économiques et sociaux, de droits humains en général... Notons enfin que le texte de la déclaration contient un point qui pourrait marquer un tournant important dans la façon dont sont négociés des textes engageant le destin économique du pays. En effet, il précise que les organisations de la société civile recommandent vivement «d'instituer un système d'accès à l'information pour la société civile garantissant la transparence du processus des négociations et de développer un cadre institutionnel permettant l'expression et l'implication effective de la société civile aux différents volets et phases des négociations».