Par Me Med Laïd LADEB * Pour la première fois de l'histoire de la Tunisie depuis son indépendance le 20 mars 1956, l'article 80 de la Constitution du 27/1/2014 relatif à l'état d'exception a été mis en œuvre par le Président de la République Kaïs Saïed. La mise en œuvre de cet article pour être constitutionnelle, donc légale, exige au préalable l'existence de certaines conditions de fait et le respect des dispositions constitutionnelles prévues par cet article. I- Les conditions de la mise en œuvre de l'article 80 de la Constitution : Elles se résument en trois : 1- L'existence d'un péril imminent comme l'envahissement du pays par des groupes armés étrangers ou par des armées d'occupation qui n'ont pour but que la destruction de l'Etat et l'anéantissement de son existence. Le cas de l'invasion de Gafsa en 1980 par des troupes armées soutenues et téléguidées par le colonel Kadhafi est un exemple éclatant de cette première condition. La réponse de l'Etat tunisien, à l'époque, sous l'égide du Président Bourguiba, a été fulgurante et l'Etat tunisien n'a pas eu besoin de recourir à l'article 46 de la Constitution du 1er/6/1959. 2- Le péril imminent peut résider dans un dysfonctionnement des pouvoirs publics. L'article 80 de la Constitution parle de péril imminent entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Ici, je m'adresse aux observateurs étrangers de bonne foi qui n'ont pas une idée exacte de ce qui se passe en Tunisie depuis presque une décennie de pouvoir du parti Ennahdha et ses acolytes, tels le parti Al Karama et Qalb Tounès. 3- Alors que du temps du président Ben Ali et son règne qui n'a pas brillé, hélas, sur le plan des libertés publiques et des droits de l'homme, le taux du PNB annuel, selon les années, variait entre 5 et 7% et qu'à son départ, les caisses de l'Etat étaient pleines. Ce taux du temps d'Ennahdha est arrivé à -8%, les caisses de l'Etat sont vides et l'Etat, devenu, selon les dires de certains, «Etat mendiant», on n'a fait qu'accumuler les prêts du FMI et d'autres institutions internationales non pas pour promouvoir une quelconque «renaissance de notre économie nationale ou créer des emplois, mais pour payer les salaires des fonctionnaires et pour essayer d'honorer d'autres crédits arrivés à leur échéance. 5) Alors que du temps du président Ben Ali, la Tunisie était le premier pays arabo-africain au niveau de la sécurité du pays et le deuxième pays après le Liban d'antan au niveau de la joie de vivre et du bien-être, l'Etat tunisien, durant cette décennie, est devenu le premier pays arabo-islamique à «exporter» les «terroristes» en Syrie, en Libye, en Irak, en France et en Allemagne. Avec leurs drapeaux noirs et leur musique macabre d'Allahou Akbar, des terroristes tunisiens ont versé le sang de certains Français à Nice, à Paris, en Hollande et en Allemagne, et ce, avec le soutien matériel et «philosophique» (sic) discret de certains partis religieux et notamment Ennahdha» et le parti Al Karama, la Chambre des représentants du peuple (ARP) était devenue dans presque sa totalité une couveuse de terroristes, de disputes, de coups de poing, de tabassage de femmes, notamment Abir Moussi et Mme Abbou, la liste est longue des dérapages verbaux et physiques, des agressions des militants de l'Ugtt et de leurs locaux partout en Tunisie. Depuis l'accession de Noureddine B'hiri au ministère de la Justice, un vrai chambardement de ce ministère a vu le jour. Des magistrats honnêtes et compétents se sont vus radiés du tableau des magistrats. Jusqu'à cette heure, les auteurs — les vrais — des attentats qui ont visé feu Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi courent dans la nature. L'ex-procureur de la République Béchir Akremi assume une lourde responsabilité devant le peuple tunisien et devant Dieu. Mais le cas le plus frappant de ce dysfonctionnement des pouvoirs publics réside dans le «coup d'Etat moral» fomenté par Mechichi, ex-chef du gouvernement. Alors qu'il était un des plus proches personnages du Président de la République et jouissait de sa confiance totale et lui a promis de former un gouvernement de «technocrate» loin des turpitudes politiques, il a trahi ses serments et en même temps le Président de la République, et la discordance et la mésentente entre Kaïs Saïed et Mechichi allaient chaque jour de mal en pis jusqu'à un blocage total entre les deux têtes de l'exécutif. Comme l'article 16 de la Constitution française du 4-10-1958, l'article 80 a encore quelques conditions pour la «recevabilité de sa mise en œuvre. II – Conditions de la recevabilité de la mise en œuvre de l'article 80 de la Constitution. Selon cet article, le Président de la République ne peut prendre les mesures qu'impose l'état d'exception qu'après consultation du Chef du gouvernement, du président de l'Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la Cour constitutionnelle. Le Président de la République Kaïs Saïed a respecté les deux premières conditions. La troisième ne l'a pas été pour la bonne raison que la Cour constitutionnelle prévue par l'article 118 de la Constitution n'a pas encore vu le jour. Les autres conditions requises pour la recevabilité de la mise en œuvre de l'article 80 de la Constitution sont relatives au «fait» que l'Assemblée des représentants du peuple est «considérée en état de session permanente». Le Président n'a pas le droit de la dissoudre ni le droit de présenter de motion de censure contre le gouvernement. Comme nous l'avons expliqué dans la première partie de notre étude, l'Assemblée des représentants du peuple et son président Rached Ghannouchi sont devenus la «cause» essentielle de la mise en œuvre de l'article 80 de la Constitution puisqu'ils sont devenus un facteur important du dysfonctionnement des pouvoirs publics. Le Président de la République n'a pas cherché à dissoudre cette assemblée, puisqu'il n'en a nullement le pouvoir mais il lui a accordé un «congé» de 30 jours en attendant que les périls qui menacent la Tunisie disparaissent ou s'amenuisent. Le Chef du gouvernement Hichem Mechichi et son gouvernement sont devenus depuis leur nomination une embûche et un obstacle majeur sur la voie d'une bonne marche des pouvoirs publics. Certains juristes et de renom considèrent que la mise en œuvre de l'article 80 de la Constitution est un coup d'Etat. Ils ont tort parce que les deux conditions de recevabilité de la mise en œuvre de cet article — l'Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de session permanente et aucune motion de censure contre le gouvernement ne peut être présentée — sont les principales causes du dysfonctionnement des pouvoirs publics. L'article 16 de la Constitution française du 4-10-1958 a été mis en œuvre du 23 mai au 29 septembre par le général de Gaulle en 1961 à la suite du putsch des généraux en Algérie. Le général de Gaulle a mis au courant l'Assemblée des représentants du peuple digne de ce nom. Malheureusement pour la Tunisie, l'ARP est tout sauf une assemblée digne de ce nom et digne de respect. Il est plus qu'urgent de saisir ces nuances pour comprendre ce qui se passe véritablement en Tunisie et que malgré les «pleurs» de certains sur le non-respect de la Constitution du 27-01-2014, la Tunisie demeure pleinement dans la légalité avec le respect strict des droits de l'homme et des libertés publiques. Conclusion: Prométhée déchaîné La mise en exécution de l'article 80 de la Constitution le 25-07-2021 par le Président Kaïs Saïed va demeurer un antécédent «historique» constitutionnel qui sera enseigné dans les universités du monde entier. Par un article que je compare à un «Prométhée enchaîné», le Président Kaïs Saïed a permis à la Tunisie de se libérer des turpitudes d'une chambre de «députés» où se côtoient terroristes, contrebandiers, phallocrates et bandits. Le peuple tunisien doit être vigilant et les défis qui l'attendent sont énormes. Cela dit, l'application de cet article (a 80) ne saurait être indéfiniment. Elle ne peut-être qu'une réponse temporaire à des situations de crise identifiées de façon précise. Le soir du 25-7-2021, le peuple tunisien a manifesté sa joie et son attachement à son Président Kaïs Saïed. De par sa nature, ses origines et sa formation, celui-ci ne saurait le tromper. M.L.D. * Ancien avocat à la Cour de cassation et ancien assistant