Une demi-heure avant le démarrage du spectacle de Amina Fakhet, le théâtre de plein air du centre culturel de Hammamet était déjà plein à craquer, avant- hier. Malgré les chaises qu'on a rajoutées dans les gradins et même à proximité de la scène, on avait du mal à contenir l'affluence, au point qu'on a dû refouler beaucoup de monde, les billets d'accès ayant été épuisés en un clin d'œil. La popularité de Amina demeure intacte. Mieux, l'engouement qu'elle suscite est à nul autre pareil en Tunisie quelle que que soit la ville ou le village où elle se produit. Pour une voix d'exception — certainement l'une des plus belles que la chanson tunisienne ait connues — doublée d'un charisme à l'épreuve du temps et des écarts, cela paraît normal et logique. Pourquoi alors n'accède-t-elle pas au rang de dame de la chanson arabe et pas seulement locale, celui d'une vraie cantatrice, rang auquel tout le monde la croyait destinée, dès qu'elle a interprété dans les années 80 et alors qu'elle était loin de ses 20 «berges», le fameux tube de Abderrahmane Ayadi, Lamma'nta fahem ghayet mouradi? Elle nous a encore une fois fourni la réponse vendredi dernier. Un programme hétéroclite Amina est une chanteuse-née, dont le talent et les immenses possibilités vocales sont établis et qui, de surcroît, est dotée d'un sens du rythme et des mesures qui lui permet les plus folles improvisations sans presque jamais commettre de fausses notes. Mais malheureusement pour elle, elle n'en fait qu'à sa tête, ne comptant que sur l'inspiration du moment, sans logique de programme, se contentant de reprendre, pêle-mêle, des morceaux d'ici et d'ailleurs, sûre que la foule accepte tout ce qui vient d'elle. Ce qui est vrai d'ailleurs. Mais ce faisant, elle confond entre concert et ârboun de fête de mariage, ne tient pas compte des vrais mélomanes, ne réalise pas (elle s'en moque peut-être ?) que l'étiquette de «fofolle» commence à sérieusement lui coller à la peau, et oublie que l'histoire ne retient pas le nom de ceux qui ne laissent pas d'héritage conséquent. Oulaya, Saliha, Ali Riahi, Hédi Jouini et d'autres encore, sont toujours vivants, non pas par leur voix, mais par le répertoire qu'ils ont légué. Aussi, Amina Fakhet nous rappelle-t-elle — les excès extra-artistiques en moins — une autre chanteuse de rêve : la Syrienne feu Rouba Al Jamel qui est, sans exagération, de la trempe de la grande Souad Mohamed. Bien qu'elle soit morte, il y a quelques petites années, personne ne parle plus d'elle, bien qu'elle fût dans son pays et dans tout le «Machreq», une star d'exception. C'est qu'elle ne chantait que rarement son répertoire qui, de toute façon, aurait à peine meublé un ou deux albums. Notre vedette à nous, dont la popularité réelle se limite à nos frontières, soutient bien la comparaison, puisque elle a encore une fois mélangé les genres, passant allègrement d'Oum Kalthoum au populaire tunisien, du mezoued à Abdelhalim Hafedh, d'Edith Piaf à Ali Riahi. L'essentiel pour elle, c'était de susciter, à travers le maximum de rythmes, la transe de la foule qu'elle a carrément «affolée» en chantant, à trois ou quatre reprises, en son milieu. Une performance qu'on ne peut qualifier que de gala, nullement de concert. Le choix même de la composition de l'orchestre avec deux claviers, deux guitares et une percussion exagérément étoffée qui ne laissaient aucune chance au seul violon, au qanoûn et ou nay de percer, prouvait, dès le départ, qu'elle ne cherchait que les rythmes et l'ambiance endiablée. Que de regrets pour les puristes qui aiment, pourtant, tellement sa voix. Dommage !