Selon Ben Khatra, grâce à une exploitation durable des ressources naturelles, les écosystèmes offrent des avantages et des services qu'on peut valoriser pour s'assurer un développement économique durable. Il est vrai qu'on fait rarement le lien entre développement économique et écosystèmes. Car la préservation des écosystèmes a, depuis toujours, fait l'objet de débats entre scientifiques, sans réellement occuper le débat public. Or, la préservation des écosystèmes est, avant tout, un enjeu socioéconomique. La pérennité des ressources hydriques, la durabilité des agroécosystèmes, la lutte contre le changement climatique..., tous ces concepts s'inscrivent dans le même objectif : parvenir au développement durable, premier défi des pays en voie de développement, notamment africains. Comment remettre la question de la préservation des écosystèmes sur le devant de la scène ? Quel lien existe-t-il entre la lutte contre le changement climatique et la restauration des écosystèmes? Quels sont les impacts socioéconomiques qui découlent de la dégradation des écosystèmes en Afrique ? Dans l'optique d'apporter des éléments de réponse à toutes ces problématiques, l'Observatoire du Sahara et du Sahel (Oss) a organisé, à l'occasion de ses 30 ans, une conférence internationale, placée sous le thème: «Les écosystèmes, principal levier de développement pour le continent africain ». Débats de haute facture Appuyé par l'Agence française de développement (Afd), l'événement qui s'est tenu les 8, 9 et 10 juin a été rythmé par des panels thématiques au cours desquels des scientifiques, des ministres et des représentants de la société civile, venus des quatre coins d'Afrique, ont pris part à des débats de haute facture. La conférence internationale se propose, en effet, comme un lieu d'échange et de consolidation des partenariats autour de questions en rapport avec la gestion, la protection, la préservation et la restauration des écosystèmes en Afrique. «A cette conférence, nous avons invité des sommités scientifiques, des représentants du Giec, des ex-secrétaires exécutifs de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, mais aussi de la Convention sur la diversité biologique, des ministres, de hauts responsables scientifiques, des politiques ainsi que des acteurs du terrain. L'objectif est de réfléchir ensemble sur une nouvelle manière de concevoir la préservation des ressources naturelles et des écosystèmes à travers leur valorisation. C'est une approche qu'il faut mettre à la disposition de tout le monde afin de communiquer sur son intérêt», a dévoilé le secrétaire exécutif de l'OSS Nabil Ben Khatra dans une déclaration accordée à La Presse. Une exploitation durable des écosystèmes Pour le chercheur, le lien entre le développement économique et la préservation des écosystèmes est « clair et étroitement établi»: En effet, si les économies des pays en voie de développement, notamment africains, reposent essentiellement sur l'exploitation des ressources naturelles, la durabilité et la valorisation de ces ressources sont, de facto, une nécessité impérieuse. «Si on exploite durablement les ressources naturelles, tous les écosystèmes offrent, alors, des avantages et des services que nous pouvons valoriser pour nous assurer un développement économique durable. Si les ressources naturelles sont surexploitées, cela va mettre en péril le développement des pays. Le lien est clair et étroitement établi. Actuellement, dans beaucoup de pays, on passe à une exploitation qui ne tient pas compte des réelles potentialités de leurs écosystèmes. Si on les exploite d'une manière qui dépasse leurs capacités de régénération, on les met, en effet, en danger», a-t-il précisé. Mais pour atteindre cet objectif de pérennisation des ressources, il faut d'abord conscientiser les populations locales à cet enjeu pour qu'elles adhèrent aux efforts de préservation des écosystèmes. C'est, en tout cas, ce qu'estime le représentant de l'OSS qui met l'accent sur la valorisation des écosystèmes comme cheval de bataille. «On a souvent pensé que la préservation des écosystèmes passe par les restrictions et les mises en défens. Ce n'est pas une solution très pertinente. Nous pensons qu'une meilleure valorisation des services éco-systémiques au profit des populations va permettre de les sensibiliser à l'intérêt de ces écosystèmes et va les inciter à adhérer aux efforts de préservation des écosystèmes. Lorsque les habitants locaux savent que leur vie peut être changée grâce à ces écosystèmes, ils prennent conscience de leur importance et ils vont eux-mêmes les protéger », a-t-il expliqué. Comment valoriser les écosystèmes ? Selon Ben Khatra, dans ce contexte où les écosystèmes sont de plus en plus fragilisés, il est indispensable de mettre en place des systèmes de développement qui valorisent les écosystèmes. En Tunisie, il s'agit, par exemple, d'encourager l'apiculture dans les forêts, instaurer un modèle de tourisme durable qui favorise le développement de l'artisanat, exploiter les forêts de pin d'Alep et les peuplements de pignon, mettre en valeur le système oasien qui, des générations durant, a montré sa durabilité et son adaptabilité au contexte difficile de climat, de désertification et de sécheresse. «On pense souvent que la forêt est un système isolé, loin de nous, qu'on peut gérer aléatoirement sans oublier que beaucoup sont en train de l'exploiter de manière illicite. On doit faciliter l'exploitation et concilier l'habitant local avec son habitat naturel qui fait partie intégrante de tout un écosystème. Les habitants des forêts doivent continuer à vivre dans les forêts, les populations, habitant dans le voisinage des zones humides, doivent accéder à une pêche et un élevage de poissons durable...», a-t-il ajouté. Planifier le développement à travers le prisme du changement climatique Interrogé sur le changement climatique, un facteur aggravant et accélérant la dégradation des écosystèmes, le secrétaire exécutif de l'OSS a souligné l'importance de planifier le développement à travers le prisme du CC. Pour Ben Khatra, la prise de conscience de l'urgence climatique est la toute première action immédiate que les pays, particulièrement touchés, doivent engager. «L'action immédiate à entreprendre, c'est la prise de conscience de l'existence du changement climatique et de son intégration dans notre manière de planifier le développement. Si on n'en tient pas compte, il est clair que la situation va empirer», a-t-il soutenu. Et d'enchaîner: «On peut aussi tirer profit des catastrophes et des situations de crise pour créer un changement de paradigme. Par exemple, avec la crise de la Covid, le télétravail a le vent en poupe, notamment dans les pays africains, alors que ce n'était pas une pratique courante. La crise nous a incités à travailler à distance. Pareil pour le changement climatique. C'est peutêtre une opportunité pour attirer notre attention sur la rareté des ressources, notamment en eau. Cela nous permet d'en tenir compte et de le considérer d'une autre manière». Montrer la voie Lors de cette conférence internationale, plusieurs sujets ont été débattus, notamment la valorisation des services éco-systémiques, l'adaptation au changement climatique pour mieux gérer la migration et la bonne gouvernance des ressources en eau pour faire face au stress hydrique. La présence des acteurs de la société civile et des médias s'inscrit, selon les organisateurs, dans le cadre d'une large communication visant à sensibiliser le public et à faire tourner le regard des décideurs africains vers cet enjeu de taille. «Le rôle des organisations régionales est de montrer la voie. Les pays doivent aussi suivre et faire des événements pareils. Nous sommes là pour les aider à le faire. C'est notre rôle», a conclu Ben Khatra.