Depuis l'annonce de l'initiative présidentielle de la formation d'un gouvernement d'union nationale, les spéculations vont bon train et les réactions se multiplient, pour la plupart favorables, sous conditions. Béji Caïd Essebsi, qui semble avoir longuement mûri sa proposition après moult consultations et à partir d'un diagnostic approfondi de la situation générale du pays, n'en démord pas de trouver la panacée. Il reçoit les protagonistes, consulte tous azimuts et prend son temps avant de se décider. Un gouvernement d'union nationale est, en principe, constitué des grands partis représentés au Parlement. Il devient impératif pour répondre à une situation de crise grave sur les plans sécuritaire, économique et social, ce qui est le cas, actuellement, pour la Tunisie. Le chef de l'Etat en a défini les principales priorités qui ont pour noms la guerre contre le terrorisme qui menace la stabilité du pays et son intégrité, la lutte contre le fléau de la corruption qui gangrène l'économie et la société, la résorption du chômage des jeunes de plus en plus pressant et le développement des régions, cette antienne qui revient sans cesse depuis le 14 janvier 2011. Il lui a même fixé une condition presque sine qua non, qui est la participation des deux centrales syndicale et patronale, sans quoi il n'aurait pas de sens. Une classe politique en ébullition Entre-temps, la classe politique est entrée en ébullition et chaque parti y va de ses propres vœux et souhaits, privilégiant beaucoup plus les postes au contenu. Nida Tounès, qui a perdu la première place, revendique déjà son droit à la désignation du nouveau chef de gouvernement parmi ses dirigeants et après « le carton jaune » brandi à Habib Essid, il a sorti « le carton rouge » pour dire son opposition à sa reconduction. Il faut dire que Nida, dirigé par le nouvel homme fort Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif depuis le congrès de Sousse en janvier dernier, n'a jamais vraiment digéré la nomination de Habib Essid, technocrate indépendant et apolitique, à La Kasbah. Avec le nouveau président du groupe parlementaire, ils ont juré d'avoir sa peau. Les membres pressentis pour la primature ne cachent pas leurs ambitions parfois démesurées et sont allés jusqu'à bouder leur chef actuel, pourtant encore en poste. Alors que le désormais premier parti à l'ARP, Ennahdha, ne veut pas trop brouiller les cartes et bien qu'il n'ait pas beaucoup de reproches à faire à Essid, son président, Rached Ghannouchi, a mis les formes en déclarant qu'il ne s'opposerait pas à son remplacement, si tout le monde tombait d'accord sur un bon candidat. Il a, cependant, ajouté que « son parti doit être représenté dans le prochain gouvernement en fonction de son poids électoral ». Quant à l'UPL de Slim Riahi, qui se voit menacé notamment en cas de nomination d'un dirigeant « nidaiste » à la tête du gouvernement, elle s'en remet plutôt au président de la République et l'appelle à user de ses prérogatives constitutionnelles pour désigner lui-même le nouveau chef de gouvernement. Reste Afek Tounès dont le président, Yassine Brahim, piaffe au portillon, il s'est cantonné dans la discrétion, préférant la jouer dans les coulisses pour ne pas insulter l'avenir et ne pas hypothéquer ses chances. L'Ugtt et l'Utica brouillent les cartes du président Et pendant que les partis de la coalition notamment rivalisent de soutiens, entre indéfectibles et conditionnés, les deux principales organisations ont bien examiné l'initiative présidentielle au sein de leurs institutions, et pris des positions jugées sages et sobres. Evitant les déclarations à l'emporte-pièce et qui pourraient soit fâcher, soit ajouter à la confusion. L'Ugtt, tout en soutenant l'initiative du président de la République, pose des conditions pour un éventuel soutien au prochain gouvernement appelé à adopter « cinq plans nationaux relatifs à la lutte contre le terrorisme, la violence, la contrebande, la spéculation, le commerce parallèle et l'évasion fiscale ». Il doit être réduit et ses « membres compétents et expérimentés respectant la culture du dialogue national et le droit syndical ». Voilà qui est clair et qui laisse entendre que certains ministres de l'actuel gouvernement doivent partir parce qu'ils ne sont pas sur la même ligne que la centrale syndicale. L'Utica, à son tour, a adopté presque la même approche. Elle a affirmé son appui à la formation d'un gouvernement d'union nationale sans toutefois voir la nécessité d'y participer. « Il n'est pas dans la nature de l'action de l'organisation patronale ni dans son rôle, ni dans sa fonction de participer directement au gouvernement d'union nationale attendu ». Elle met l'accent sur la nécessité de bien choisir les membres de ce gouvernement sur la base des critères de compétence, de la capacité de diriger et de l'audace dans les prises de décision et appelle à sa restructuration. Où dénicher « l'oiseau rare » ? Le refus des deux centrales de faire partie du gouvernement risque de brouiller les cartes du président Béji Caïd Essebsi et de le mettre dans l'embarras. Ce qui pourrait l'amener à revoir sa proposition pour la modifier en fonction des nouvelles données et des résultats des consultations qu'il est en train de mener. Le timing choisi n'est pas opportun car procéder à un profond chambardement de l'équipe actuelle en plein mois de Ramdan et en pleine saison estivale n'aurait pas l'impact requis ni l'effet psychologique souhaité. D'habitude, un remaniement s'effectue à la rentrée politique ou à la suite d'élections. En plus de cela, notre pays est en passe de réaliser un record dans le changement des gouvernements. Et comme l'écrivait dimanche 12 juin notre confrère Soufiane Ben Farhat, il risque de « battre le tristement célèbre record d'instabilité des gouvernements italiens durant les années 50, 60, 70 et 80 du XXe siècle, qui duraient en moyenne six mois. Et de rejoindre le Liban au niveau du brouillage des cartes et de la confusion des genres ». D'autant plus que les raisons de l'échec des précédents gouvernements sont toujours là et que quel que soit le format de la prochaine équipe, elle contiendrait les germes de cet échec. Habib Essid qui, hier seulement était affublé de qualificatifs dignes d'un «lion», se trouve aujourd'hui jeté au « purgatoire ». Alors qu'au mois de janvier dernier, la composition de sa nouvelle équipe a été approuvée par ceux-là mêmes qui veulent sa peau. S'il n'a pas totalement réussi, il n'a pas échoué non plus. Lui trouver un successeur n'est pas une sinécure et Béji Caïd Essebsi, le vieux routier de la politique, n'en démord pas de la crainte de ne pas tomber sur l'oiseau rare. A moins qu'il ne puise dans «le réservoir» de l'ancien régime ou dans la société civile pour dénicher la personnalité qui allie compétence et expérience. En attendant, la situation actuelle risque de traduire un mouvement général d'attentisme et de gêne d'engagement de la part des principaux acteurs mondiaux envers notre pays et de nourrir l'expectative des investisseurs étrangers, déjà de moins en moins attirés par la Tunisie. La rencontre hebdomadaire entre le président de la République et le chef du gouvernement réinstaurée par Béji Caïd Essebsi comme à l'époque de son illustre prédécesseur Habib Bourguiba, pourrait dissiper l'embrouillamini et permettre d'y voir un peu plus clair sur les intentions du chef de l'Etat.