Il fallait bien une défaillance humaine pour départager l'Allemagne et l'Italie de ce combat tactique. Il n'y en eut guère pendant le match, et à profusion pendant l'épreuve terminale. L'image est saisissante. Le neuvième tireur, le latéral Jonas Hector propulse son pays en demi-finale peu avant minuit. Auparavant, trois de ses coéquipiers avaient raté cet exercice. «La Mannschaft» est passée. «La Squadra» est recalée. Bien avant cet épilogue, les chroniqueurs n'ont pas manqué de situer le match dans son contexte: L'Allemagne face à sa bête noire, l'Italie devant son Everest. Ça sonnait juste! Au final, avec cette victoire acquise dans la douleur et la tension au terme d'un match longtemps fermé, les hommes de Joachim Löw sont plus que jamais favoris au titre. Et ils mettent fin à une longue malédiction puisqu'ils ont enfin battu leur bête noire dans un tournoi majeur, après avoir essuyé quatre défaites qui appartiennent à la légende du football : la demi-finale du Mondial 1970 avec le bras en écharpe de Beckenbauer, la finale 1982 avec Paolo Rossi en état de grâce, l'éviction en demi du Mondial allemand de 2006, et, dernière désillusion en date, le doublé de Mario Balotelli lors de l'Euro 2012. Rideaux de fer! Allemagne-Italie, le champion du monde en titre contre celui de 2006, c'était une finale dès les quarts, sachant que les Azzurri en avaient déjà remporté une en huitièmes face à l'Espagne. L'affiche la plus spectaculaire à ce stade de la compétition, bien davantage que la demie déjà programmée entre le Portugal et le pays de Galles. Le choc entre les deux équipes dont le parcours a été le plus impressionnant depuis le début du tournoi. Au coup d'envoi, la Mannschaft n'avait toujours pas encaissé le moindre but et il en était de même pour la défense Italienne confiée au trio de fer de la Juventus Turin formé par Leonardo Bonucci, Andrea Barzagli et Giorgio Chiellini. Les supporteurs allemands, quant à eux, semblaient sereins et peu embarrassés par les lois de l'Histoire. L'écusson avec ses quatre étoiles suffit à faire un blason. Une ambiance «nature» avec le côté «cool» de l'entraîneur Joachim Löw, un homme qui maîtrise parfaitement ses nerfs, pas un mot plus que l'autre, tout l'opposé de son tempétueux homologue Antonio Conte. L'un misait sur la maîtrise collective de son dispositif et la possession de balle, l'autre sur l'intelligence tactique et l'attrition. Et la ruse dans tout ça? La guerre psychologique avait commencé avant le match, les Italiens se présentant délibérément comme outsiders. Conte avait accumulé les superlatifs pour décrire son adversaire, «l'équipe la plus complète du monde, encore plus forte que l'Espagne», avec son «organisation parfaite», le gardien Gianluigi Buffon évoquant un «obstacle qui semble insurmontable». Löw s'est contenté de son côté de louer chez l'Italie une «très bonne équipe sur le plan défensif qui sait trouver des solutions offensives». Le technicien affichait sa confiance tout en se méfiant de la «surprise du chef», cette tradition «Azzurra». Avant le coup d'envoi, le Kop de la Mannschaft avait tout de même trouvé le moyen d'invoquer l'histoire en suspendant au bas de la tribune haute trois banderoles affichant des millésimes: 1972, 1980 et 1996, ceux des sacres continentaux! Une quatrième, avec un «X» suivi de trois points de suspension, sera retirée à la mi-temps, peut-être en raison de la tournure imprévue prise par les événements. Dés le coup d'envoi, le scénario annoncé se met en place avec une confiscation allemande du ballon. Sans conséquence. Les Italiens sont d'ailleurs les premiers à entrer dans la surface de réparation adverse. La Nazionale n'est pas la même que celle qui s'était inclinée 4-1 en mars en match amical à Munich. Premier fait saillant après un quart d'heure de jeu. Le demi défensif allemand Sami Khedira, touché lors d'un contact, doit céder sa place à Bastian Schweinsteiger. A ce moment, les défenses ont déjà pris le dessus sur l'animation offensive. Le jeu commence à se durcir. Le contraste est burlesque entre la placidité de Löw et les gesticulations de Conte. Tirs au but dramatiques et chaotiques! La pression de Mario Gomez sur la défense italienne finit par porter ses fruits. L'attaquant de Besiktas peut enfin servir idéalement Thomas Müller. On croit Buffon battu, mais la frappe est acrobatiquement détournée par Alessandro Florenzi. C'est le signal d'un coup d'accélérateur de la Mannschaft avec, dans la foulée, un missile non cadré de Jérôme Boateng. Surpris par le changement de rythme, les Italiens réagissent par des fautes et écopent de trois cartons jaunes en autant de minutes. Les Allemands ouvrent enfin le score sur leur action la plus nette. A l'origine, une perte italienne du ballon, suivie d'un beau travail de Mario Gomez, qui sert Jonas Hector côté gauche, dont le centre détourné est repris victorieusement par Mesut Özil (65e). Les hommes de Löw peuvent enfin jouer libérés. Ils prennent l'ascendant, Gomez étant proche du break sur une talonnade désamorcée in extremis par Chiellini. Toute velléité de réaction italienne semble alors annihilée par des Allemands qui ont retrouvé la pleine possession du ballon. Une reprise de Graziano Pellè échoue. La mécanique se fait admirer à son tour, notamment la solidité de la charnière défensive Mats Hummels-Boateng. Seule une «surprise du chef» semble pouvoir changer le cours du destin. Et elle ne manque évidemment pas de se produire. Alors que l'attaque Italienne ne s'est pratiquement pas manifestée en deuxième mi-temps, Boateng commet une main dans sa surface. L'arbitre n'hésite pas. Bonucci (78') trompe Neuer, pourtant parti du bon côté. Coup de théâtre, explosion bleue de joie, intrusion des remplaçants italiens sur la pelouse pour une bacchanale de coup de sifflet final. La fatigue n'aide pas la volonté allemande d'éviter les tirs aux buts et les contres italiens sont moins vifs. Au troisième essai de la séance, Zaza, l'attaquant de la Juve, se distingue aussitôt en expédiant son premier ballon dans la tribune Italienne. La bourde est immédiatement rattrapée par Buffon qui plonge du bon côté sur une frappe molle de Müller. Suivent Barzagli (contre-pied) puis Özil. Buffon part du mauvais côté mais son poteau le supplée. L'affaire semble pliée en faveur de la Nazionale sauf que Pellè, à son tour, vise nettement à côté... Draxler, lui, n'échoue pas, Bonucci si. Une balle de match s'offre à Schweinsteiger. Le Mancunien craque à son tour, les tifosi récupérant dans la liesse son ballon dans leur secteur. Un épilogue fou. Giaccherini, Hummels, Parolo et Kimmich rétablissent l'honneur des tireurs de cette séance dramatique et chaotique, interdite aux cardiaques. C'est finalement, Matteo Darmian qui bute à son tour sur Neuer. La deuxième balle de match pour l'Allemagne est la bonne. Non sans que Buffon ne touche le ballon d'Hector et ne manque de le repousser. Sur cette fin à couper le souffle, l'Italie est maudite. L'Allemagne, est quant à elle bénie!.