Samedi soir, vers 22 heures, le palais du Bardo a vécu un moment solennel et un instant historique quand Habib Essid a été applaudi chaudement par les députés à l'issue de l'opération de vote retirant la confiance à son gouvernement On attendait que Habib Essid, le chef du gouvernement (transformé aujourd'hui en gouvernement des affaires courantes), dise, samedi 30 juillet dernier, leurs quatre vérités ou plus aux députés qui ont accouru massivement au palais du Bardo contrairement à leurs habitudes (191 ont enregistré leur présence et 148 ont participé au vote au terme d'une journée chaude en palabres que beaucoup de gens considéraient comme inutiles) pour appliquer les ordres et lui retirer leur confiance qu'ils lui ont accordée en janvier 2015 à l'issue des législatives de fin octobre 2014. Habib Essid n'a pas dérogé à son comportement de grand commis de l'Etat qui respecte d'abord, ensuite et enfin l'Etat qu'il a servi loyalement durant près de cinquante ans. Il n'est pas tombé dans le piège des provocations et a refusé de succomber à la tentation de démasquer ceux qui ont voulu qu'il quitte la scène politique par la petite porte. Il a, plutôt, décidé de partir, la tête haute, et par la grande porte, celle du parlement, celle par laquelle il est passé pour accéder au palais du Bardo. «Aujourd'hui, je m'incline devant la volonté des détenteurs effectifs du pouvoir, vous les députés de la nation, vous les hommes et les femmes que le peuple a choisis librement et souverainement pour construire la IIe République. Ensemble, nous avons conduit la première étape de ce processus en faisant adopter quelque 120 lois qui posent les jalons essentiels de la IIe République. Moi-même et les ministres de mon gouvernement, sommes disposés à livrer au prochain chef du gouvernement et à ses ministres un rapport détaillé sur tout ce que nous avons réalisé et nous sommes disposés à leur apporter aide et assistance à chaque fois qu'ils en auront besoin». Les propos de Habib Essid sont clairs et tranchants. On n'y trouve ni déception, ni amertume, ni sentiment d'avoir été trahi par ses amis. On y décèle, au contraire, une haute conscience d'avoir accompli la mission qu'on lui a confiée à un certain moment de l'histoire du pays, mission que plusieurs politiciens ont refusé d'assumer. Les propos de Habib Essid renferment aussi une volonté tenace de continuer de servir le pays, toujours sur la base de la loyauté, de la transparence et de l'intégrité. «J'assume pleinement la responsabilité des réussites et des échecs» Aussi bien dans son speech d'ouverture que dans celui où il répondait aux interventions des députés, Habib Essid a développé un discours digne d'un grand homme d'Etat qui assume la responsabilité de ses réussites et aussi celle de ses échecs. «Ceux qui me reprochent d'avoir échoué à maîtriser les ministres et à leur imposer une ligne de conduite unique font fausse route. Ma démarche est simple : les ministres peuvent parler librement et il n'est pas dit que tout ce qu'ils disent engage automatiquement le gouvernement. Et n'oublions pas qu'ils sont des leaders au sein de leurs partis et les approches de ces partis ne sont pas nécessairement celles du gouvernement. Aujourd'hui, ils sont tous présents pour assumer ensemble la responsabilité des actions accomplies et aussi celle des actions qui n'ont pas été parachevées. En tout état de cause, la Tunisie regorge de compétences aguerries qui peuvent poursuivre le combat afin que le pays sorte de la crise et occupe la place qu'il mérite sur la scène régionale et internationale», a-t-il martelé. Et l'ovation réservée à Habib Essid par les députés qui se sont levés pour l'applaudir quand Mohamed Ennaceur, président du Parlement, a annoncé les résultats du vote est annonciatrice d'une nouvelle pratique politique qui fait elle aussi partie de l'exception tunisienne: désormais, on applaudit un responsable qui quitte sont poste et cède le témoin à un remplaçant qui vient apporter sa part à l'édifice national. Ceux qui soutiennent que Habib Essid n'avait pas «à se faire ridiculiser par des députés déterminés à avoir sa peau à tout prix» se doivent de déchanter. Habib Essid a donné, samedi soir, une belle leçon de ce que peut être la pratique démocratique saine. Même si ceux qui ont assisté à cette leçon et l'ont chaudement applaudie n'en sont pas tous convaincus.