Alors que l'on s'attend à connaître les noms des futurs ministres de Habib Essid, une problématique reste à éclaircir. Qui portera la responsabilité d'un éventuel échec du prochain gouvernement ? Au moment où tous les yeux sont braqués sur Dar Edhiafa où Habib Essid poursuit ses consultations en vue de former son gouvernement, tout en gardant un silence total laissant à ses invités la primeur de distiller, à volonté, les informations qu'ils estiment les servir le mieux pour améliorer les conditions de négociation, l'on se pose la question suivante : quelle responsabilité politique aura à assumer le gouvernement promis qui sera ouvert, d'après les rares déclarations de son chef désigné, au maximum des forces politiques (vainqueurs et vaincus du 26 octobre 2014) et des composantes de la société civile, dont en premier lieu le Quartet parrain du Dialogue national, même si l'Ugtt multiplie les mises au point selon lesquelles les syndicalistes ne sont aucunement concernés par le choix de tel ou tel ministre ? Parallèlement, la Centrale ouvrière affirme, par le biais de son secrétaire général adjoint Anouar Ben Gaddour, avoir «élaboré un document comportant ses attentes et un ensemble de mesures urgentes politiques, économiques et sociales que le gouvernement Essid devrait prendre en compte lors de ses 100 premiers jours» (voir La Presse du lundi 19 janvier). Et le secrétaire général de l'Ugtt, Hassine Abassi, a affirmé sur Nessma TV, vendredi soir, que ce document de six pages a été déjà remis à Habib Essid. Autrement dit, le chef du gouvernement désigné est en train de collecter les propositions, les CV des ministrables à raison de trois CV pour chaque poste convoité (comme l'a souligné Rym Mahjoub, dirigeante à Afek Tounès) et attend toujours que la commission commune chargée de synthétiser les programmes de Nida Tounès, Afek Tounès, l'Union patriotique libre et Al Moubadara lui livre sa copie. Une exception tunisienne A l'opposé, personne ou presque ne parle de cette exception bien tunisienne, celle de voir un parti politique ayant remporté les élections sur la base d'un programme politique et économique précis demander à ses concurrents qu'ils soient proches de ses thèses ou totalement opposés à ces mêmes thèses de participer au gouvernement et de négocier leurs propositions qui n'ont pas reçu l'aval des électeurs le 26 octobre dernier, préférant celles du parti avec lequel ils ont scellé un contrat de confiance pour 5 ans en lui accordant leurs voix. En plus clair, le parti vainqueur des élections, Nida Tounès, a-t-il le droit de rompre unilatéralement ce contrat de confiance sous le prétexte, toujours discutable, que l'étape impose un gouvernement d'union nationale et un programme qui représente tout le monde. Sachant que ce discours développé par certains ténors nidaistes n'a jamais été d'actualité lors des campagnes électorales législatives ou présidentielles. La Presse a sollicité l'avis de Jawher Ben M'barek, professeur de droit constitutionnel et coordinateur général du réseau «Doustourna», pour décortiquer ce discours et éclairer l'opinion sur les conséquences qui pourraient découler de la formation d'un gouvernement où seront représentées toutes les parties politiques, sauf celles qui ont décidé de s'exclure elles-mêmes «pour respecter, disent-elles, leurs engagements électoraux et la confiance que leur ont témoignée leurs électeurs». D'emblée, Ben M'barek parle «d'un grand problème de responsabilité politique se profilant à l'horizon. En principe, les électeurs s'attendent à l'application du programme qu'ils ont voté et qui est devenu le leur au soir du 26 octobre dernier quand les résultats ont été proclamés. Aujourd'hui, ils ont le sentiment que ce programme n'est plus d'actualité et ne savent qu'est-ce qu'il en restera quand Habib Essid formera son gouvernement et prononcera sa déclaration au palais du Bardo pour solliciter la confiance des députés, même si toutes les prévisions tablent sur le fait qu'une majorité très large soutiendra ses choix. Il s'agit de savoir si le nouveau programme va satisfaire ceux qui ont choisi le premier programme. Idem pour les partis alliés à Nida Tounès. Leurs électeurs vont eux aussi se trouver devant un programme qu'ils n'ont pas voté». Se pose, dans ce contexte, la question : qui sera responsable des erreurs prévisibles que le gouvernement Essid pourrait commettre ? «En principe, sur le plan constitutionnel, c'est le gouvernement qui est déclaré responsable. Nida Tounès, parti vainqueur des élections ainsi que les autres partis ou associations qui seront dans le gouvernement n'en seront pas responsables puisque jusqu'à aujourd'hui, on ne parle d'aucune alliance partisane claire. On se contente de parler d'un gouvernement qui rassemblera tout le paysage politique et civil national ou presque et qui sera présidé par une personnalité se proclamant indépendante mais appelée à appliquer un programme que les autres ont élaboré. Au final, s'il y a un quelconque échec, c'est Habib Essid et ses ministres qui en seront responsables, alors que les partis ou associations qui vont les parrainer en sortiront indemnes. En un mot, ce sera un gouvernement sans aucune légitimité politique (tirée des élections) mais qui sera considéré comme responsable de ses erreurs sur le plan constitutionnel. Faut-il rappeler que la Constitution ne contient aucun article ou même un allinéa spécifiant que les partis vainqueurs des élections ou alliés aux vainqueurs avec zéro siège sont responsables d'un échec probable du gouvernement. Ce qui revient à dire que Habib Essid pourrait être révoqué dans un an ou deux et que les mêmes partis qui l'ont porté au pouvoir seraient chargés de nouveau par le président de la République de trouver un autre chef de gouvernement. C'est une exception tunisienne qui mérite d'être enseignée dans les grandes écoles internationales de sciences politiques », conclut Jawher Ben M'barek.