Par Kamel GHATTAS La climatisation n'était pas au point certes, mais la sueur qui coulait et détrempait la chemise du jeune Abdallah (appelons-le ainsi), n'était pas due à la chaleur mais à l'émotion. Abdallah avait accepté de rencontrer le dirigeant d'un des rivaux les plus acharnés de l'équipe au sein de laquelle il évoluait. Cela n'a pas été facile. C'était même risqué , par les temps qui courent. Il a failli se faire kidnapper par les fans qui tenaient à ce qu'il se réengage avec son club actuel, pour trois ans supplémentaires. Il avait refusé. Il savait que le président de ce club est un très beau parleur et qu'il se permettait de promettre mille et une choses sans tenir parole. Il avait bien promis de remettre en état les vestiaires, et depuis quatre ans déjà les joueurs pataugent dans l'eau de douche. Il a promis de refaire les terrains. La majorité des accidents sont dus à l'état lamentable de la pelouse qui n'en était plus une depuis bien longtemps. Il avait promis de faire construire un centre moderne et des logements de haut standing pour la mise au vert des joueurs. L'équipe change à chaque fois d'hôtel, parce que les factures ne sont pas honorées, et que les hôtels grugés refusent de refaire la même expérience. C'est la raison pour laquelle il avait décidé de partir. Son agent lui a pris rendez-vous avec le représentant du club qui voulait s'offrir ses services. Ils étaient prêts à accepter toutes ses conditions : il exigeait une prime à la signature royale pour faire rager ses détracteurs et démontrer qu'il valait mieux que ceux qui l'avaient précédé. Pour assurer son avenir et celui de sa famille, il voulait acheter un fonds de commerce pour monter un café-restaurant au Lac. Il avait déjà choisi le lieu et avait ramené avec lui un contrat à signer. Il le fera dès qu'il se mettra d'accord avec son nouveau club. Sa fiancée lui a demandé de lui dégoter un salon de coiffure. Son agent lui a assuré que cela n'était en rien impossible et qu'il aura toutes les facilités pour réaliser le rêve de sa fiancée. On pourra même acquérir un local très convenable tout proche du futur café-restaurant, pour que les deux tourtereaux n'aient pas à effectuer de longs déplacements. Puisqu'on y est, on pourra toujours envisager une villa avec piscine et vue sur le Lac pour se loger et on aura fait le tour des premières nécessités. L'interlocuteur, qui semblait ouvert à tout, finit par lâcher la dernière promesse qui fit craquer le jeune Abdallah. Nous pourrions envisager de t'aider à acquérir un espace assez grand pour ouvrir une grande surface où tu pourras faire employer les membres de ta famille. Nous savons que tu as des difficultés de ce côté là, et ce sera une occasion de les caser et d'assurer leur avenir. En fin de compte, nous agissons ainsi pour que tu n'aies plus le moindre problème familial, qui pourrait se répercuter défavorablement sur tes entraînements et compétitions. C'était pour le jeune Abdallah les portes du paradis qui s'ouvraient toutes grandes. C'est le moment que choisit son vis-à-vis pour lui asséner la dernière bonne nouvelle : nous réviserons l'aspect financier du contrat tous les ans pour que tu sois plus à l'aise. Abdallah sentait la sueur couler à flot dans son dos. Il avait hâte de signer ce sacré contrat et plus qu'il ne le prit, il l'arracha des mains de son interlocuteur pour y apposer sa signature. -Très bien allons le légaliser dans les officines de service, lui fit remarquer son agent qui se précipita une fois que tout avait été réglé. Dans sa précipitation, il laissa traîner sa main du côté de la portière de la voiture de son agent. Ce dernier heureux de boucler cette bonne affaire, qui allait lui ramener un sac d'argent (il avait promis à sa femme une croisière), referma violemment la porte coinçant cruellement au passage les doigts de son protégé. Abdallah poussa un cri de souffrance qui se répercuta à mille lieues à la ronde. Sa mère s'était précipitée, un verre d'eau à la main. Il se réveilla du profond sommeil qu'il mit du temps à trouver. Les factures et les mises en demeure qui étaient sur la table de nuit le rappelèrent à la réalité : depuis qu'il n'était plus convoqué, son club lui avait coupé les vivres. Il n'arrivait plus à joindre les deux bouts. Faute d'avoir écouté son agent, lui, qui fut un véritable espoir, s'est retrouvé du jour au lendemain sur la touche. C'était son destin et de tous ceux qui ont oublié « que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute ».