De notre envoyée spéciale en Algérie Meriem Khdimallah À Alger, le Président de la République, Kaïs Saïed, a lancé un appel vibrant en faveur d'un nouvel ordre africain et mondial, lors de l'ouverture de la 4e Foire commerciale intra-africaine. Face aux défis du continent, le Chef de l'Etat a insisté sur la justice, la souveraineté et la dignité des peuples, tout en mettant en valeur la participation tunisienne à cet événement majeur. La Presse — Sous les lustres du Centre international des conférences Abdelatif-Rahal d'Alger, le Président de la République, Kaïs Saïed, a pris la parole hier, jeudi 4 septembre, à l'occasion de l'ouverture de la 4e Foire commerciale intra-africaine (Iatf). Devant ses pairs africains et en présence de son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune, le Chef de l'Etat a livré un discours sans détour, préférant parler d'avenir et de souveraineté plutôt que de chiffres et de bilans. Son message : l'Afrique ne pourra s'émanciper qu'en reprenant le contrôle de ses richesses et en bâtissant un projet global, pensé par et pour ses peuples. Un plaidoyer pour l'Afrique des peuples Dans son allocution, Kaïs Saïed a choisi de délaisser les chiffres et les bilans techniques pour se tourner vers une lecture centrée sur l'avenir. S'inscrivant dans la mémoire collective africaine, il a rappelé la création de l'Organisation de l'unité africaine au début des années soixante, rêve des pionniers de l'indépendance rapidement mis à mal par les divisions, les guerres et le pillage des richesses. Pour autant, a-t-il souligné, cette espérance demeure vivante : «Le rêve des générations passées continue de nous habiter aujourd'hui et habitera encore les générations futures. Ce rêve se réalisera, car il est dans le sens de l'histoire». Dans ce même cadre, le Président a assuré encore une fois que l'«Afrique doit appartenir aux Africains», tout en dénonçant la persistance de nouvelles formes d'exploitation et de trafics qui continuent de déstabiliser le continent. Pour lui, le commerce intra-africain ne saurait se limiter aux échanges formels. Il englobe aussi «un commerce informel et inquiétant», souvent alimenté par la pauvreté, l'insécurité et le désespoir. S'il a reconnu l'importance des secteurs ciblés par l'Iatf 2025 (agriculture, industrie, énergie, recherche, innovation, santé, transport et startups), le Président Kaïs Saïed a insisté sur une vision plus large. «Ce que nous avons devant nous n'est pas un simple projet sectoriel. C'est un projet de civilisation, un projet global, fondé sur une pensée nouvelle et des concepts nouveaux», a-t-il déclaré, estimant que la coopération africaine doit être repensée sur des bases équitables et indépendantes. Dans le même sillage, le Chef de l'Etat n'a pas mâché ses mots pour décrire «une situation inhumaine» dans de nombreux pays africains: famine, déplacements forcés, enrôlement dans des bandes criminelles, exploitation des richesses naturelles au profit d'intérêts extérieurs... Le Président Saïed a aussi insisté sur la nécessité de bâtir une approche exigeante : regarder le passé sans complaisance, tirer des leçons des douleurs et tracer un avenir nouveau, fidèle aux sacrifices des générations précédentes. Pour lui, l'«histoire doit proclamer sa repentance», afin que les rêves de souveraineté et de dignité deviennent réalité. Le Président de la République a élargi sa réflexion au-delà du cadre économique. «Il ne s'agit pas seulement de commerce intra-africain, d'infrastructures ou de nouvelles technologies», a-t-il souligné. L'enjeu est de construire un projet global, pensé et porté par les Africains eux-mêmes, capable de garantir la restitution des droits spoliés et de faire respecter la souveraineté des peuples, y compris celui de la Palestine. «La coopération internationale ne sera complète que lorsque les Palestiniens auront retrouvé pleinement leurs droits sur toute la terre de Palestine», a-t-il souligné La Tunisie en vitrine à l'Iatf 2025 Cette vision politique s'accompagne d'une présence tunisienne remarquée au salon. Sur un pavillon national de 304 m2, plus de 24 entreprises exportatrices, dont 12 PME, 8 artisans et 4 startups, mettent en avant leur savoir-faire. La diversité des secteurs représentés – textile, habillement, cuir et chaussure, cosmétiques, matériaux de construction, artisanat, industrie automobile et composants – illustre la vitalité du tissu économique tunisien. Un espace institutionnel regroupe également la Commission nationale de la Zlecaf, les chambres de commerce et d'industrie, le Centre de promotion des exportations, l'Agence de promotion de l'investissement extérieur, ainsi que les offices du tourisme et de l'artisanat. Ces structures traduisent la volonté de Tunis de positionner la Tunisie comme un acteur incontournable des échanges africains. La délégation tunisienne participera à plusieurs événements parallèles, dont un atelier consacré ce jeudi à l'industrie automobile nationale et à la stratégie tunisienne dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). La ministre de l'Industrie prendra part au Salon africain de l'automobile, tandis que la présidente de Tunisia Investment Authority interviendra au Forum de l'investissement. Tebboune : transformer les richesses en développement Dans son allocution d'ouverture, le Président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a, lui aussi, dressé un constat lucide sur les paradoxes africains. «L'Afrique dispose de près de 30 % des ressources naturelles mondiales mais ne représente que 3 % du commerce mondial», a-t-il regretté, dénonçant les déséquilibres hérités du colonialisme et les effets du capitalisme mondialisé. Le Président algérien a alerté sur les défis structurels qui freinent l'intégration économique du continent : déficit d'infrastructures de transport, d'interconnexions énergétiques et de réseaux de communication. «Ces lacunes constituent une pandémie silencieuse», a-t-il averti. Pour y remédier, Tebboune a mis en avant plusieurs projets structurants: le gazoduc transsaharien, des projets routiers et ferroviaires transsahariens, ainsi que la création de zones de coopération régionale. «Ensemble, nous pouvons bâtir une Afrique solidaire, prospère et capable d'imposer sa place dans l'économie mondiale», a-t-il conclu. Mais au-delà des mots, cette rencontre à Alger illustre la convergence de deux visions : celle de Saïed, centrée sur la justice, la souveraineté et la dignité des peuples; et celle de Tebboune, axée sur la transformation concrète des ressources africaines en leviers de développement. Deux approches qui se rejoignent sur un point essentiel : l'urgence de bâtir une Afrique capable de prendre son destin en main, pour ses peuples et pour le monde.