En l'espace de quelques jours, les choses ont vite évolué au sein du « gouvernement d'union nationale ». Vendredi dernier, le désormais ex-ministre de la Fonction publique et de la Gouvernance, Abid Briki, contacte l'agence Tunis-Afrique Presse et annonce son « intention » de présenter sa démission, même s'il affirme ne pas avoir encore pris sa décision. L'annonce a, semble-t-il, surpris le chef du gouvernement, qui, dès le lendemain, limoge Abid Briki, le syndicaliste de carrière, et le remplace par l'un des cadres de l'organisation patronale, Khalil Gheriani. Sans passer par le Parlement, et visiblement sans consulter personne, Youssef Chahed rend publique sa décision, enrobée de deux nominations relativement attendues : Ahmed Adhoum en tant que ministre des Affaires religieuses (le poste avait jusque-là à sa tête le ministre de la Justice par intérim, après l'éviction de Abdeljalil Ben Salem) et Abdellatif Hmam en tant que secrétaire d'Etat chargé du Commerce, en remplacement de Fayçal Hafiane, qui devient conseiller auprès du chef du gouvernement. Les relations de ce dernier n'étaient plus au beau fixe avec Zied Laâdhari, actuel ministre de l'Industrie et du Commerce, et a fortiori avec le parti Ennahdha. C'est dire que le vrai changement qui menace d'ébranler la classe politique est l'entrée de Khalil Ghariani, connu pour être le négociateur attitré de l'Utica lorsqu'il fallait « parler argent » avec la centrale syndicale. Réuni en urgence, le bureau exécutif de l'Ugtt hausse le ton, et fustige la nomination d'un « homme d'affaires » à la tête du département qui veille aux affaires de l'administration publique. « Nous n'acceptons pas cette nomination, déclare Sami Tahri, porte-parole de l'Ugtt, à la sortie de la réunion. L'éviction de l'un des ministres les plus performants de ce gouvernement prouve que la décision a été prise sur un coup de tête, et non basée sur une évaluation objective de son bilan ». L'Ugtt vit le limogeage de Briki et la nomination de Ghariani comme une trahison. Selon Sami Tahri, la centrale syndicale a « découvert » que ce gouvernement n'a plus l'intention de respecter « le document de Carthage », rédigé avec la bénédiction de l'Ugtt. Pour certains observateurs avisés, mises à part les querelles politiciennes, le remplacement d'Abid Briki par Khalil Ghariani n'aura pas une grande incidence sur la réforme de la fonction publique, qui devra, de toutes les manières, se mettre en place. « Le clivage provient surtout du fait que l'un vient de l'Ugtt et l'autre de l'Utica, alors que le chantier reste le même et les procédés utilisés identiques dans le nécessaire dégraissement du mammouth », estime l'universitaire et producteur d'une émission économique à la radio nationale Anis Marai. Autre front qui pourrait s'ouvrir contre le gouvernement Chahed, c'est celui qui critique la manière avec laquelle ce remaniement a été fait. Un passage en force de Youssef Chahed qui pourrait compliquer davantage les tractations. Les partis politiques, même ceux de la coalition, se sont étonnés de voir qu'il court-circuitait le Parlement en ne soumettant pas les nouvelles nominations de ministres au vote de l'ARP. Il faut dire que la Constitution tunisienne n'oblige pas explicitement le chef du gouvernement de passer par le Bardo. Seul le règlement intérieur de l'Assemblée l'exige.