Le traitement médiatique des thèmes sanitaires et médicaux suscite la polémique en raison de l'irrespect souvent banalisé de l'éthique des deux professions, celle médicale et paramédicale, d'une part, et celle journalistique, de l'autre Le ministère de la Santé a organisé hier à Tunis, en collaboration avec la Haica, la Commission nationale de l'éthique médicale (Cnem), le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), l'Instance nationale de l'Ordre des médecins et l'Organisation mondiale de la santé (OMS), une conférence nationale pour mettre le doigt sur le problème et retracer ensemble les lignes à ne pas franchir pour préserver le droit à la confidentialité, au secret professionnel et aux droits de l'Homme dans les domaines précités. Ouvrant la rencontre, Mme Samira Maraï, ministre de la Santé, a indiqué que le système de la santé fait l'objet d'une grande révision organisationnelle, ce qui promet de consolider les acquis d'un secteur renommé pour son efficacité et ses compétences. « Nous œuvrons pour promouvoir cette destination sanitaire internationale. Nous avons, en effet, signé plusieurs conventions de partenariat avec des pays africains dont le Burkina Faso. Chaque vol provenant de ce pays partenaire devrait désormais compter une centaine de patients africains désireux de bénéficier des prestations sanitaires tunisiennes. Le Soudan ne cesse de signifier son aspiration à traiter ses malades sous nos cieux », a-t-elle indiqué. Toutefois, il convient d'injecter un sang nouveau à la politique sanitaire, laquelle est restée des décennies figée dans une approche purement curative alors que la population évolue à un rythme démographique significatif. « L'on estime que la population senior représentera, à l'horizon 2030, près de 19% de la population. Cette mutation démographique devrait s'accompagner de mesures sanitaires adéquates, à même de garantir la bonne santé à cette tranche d'âge », a-t-elle ajouté. D'un autre côté, Mme Maraï a dévoilé les quatre axes majeurs de la prochaine stratégie nationale sanitaire. L'heure est à la promotion d'une politique préventive intégrée dans tous les secteurs sans exception, à la garantie d'une meilleure proximité des services de santé, à une gouvernance efficiente à même de faire face à la corruption. Le secteur sanitaire doit plus que jamais se convertir en un vecteur économique incontournable. La ministre n'a pas manqué d'insister sur certains choix-valeurs à développer dont l'humanisation du système de la santé, la garantie de l'équité afin de réduire les disparités. « Il n'y a pas de médecine à deux vitesses. Il y a hélas des retards et des lacunes à combler », a-t-elle souligné. D'où la nécessité de dynamiser la collaboration entre les médecins et les journalistes afin de garantir le droit d'accès à l'information médicale dans le respect infaillible de l'éthique professionnelle de l'une et de l'autre profession. Prenant la parole à son tour, Mme Hend Bouacha, présidente de la Commission nationale de l'éthique médicale (Cnem), a insisté sur le rôle des médias dans la diffusion de la culture sanitaire et dans la vulgarisation de l'information médicale, surtout celle portant sur les maladies chroniques. Elle a indiqué que cet apport médico-journalistique doit être la responsabilité des deux partenaires, à savoir le médecin et le journaliste. Aussi, la présente conférence tend-elle à établir les normes susceptibles de règlementer cette mission. Les médias, cette arme à double tranchant De son côté, M. Néji Bghouri, président du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), a évoqué l'impact souvent déterminant résultant du traitement médiatique d'une problématique médicale et sanitaire. Les médias sont, à son sens, habilités à décider de la paix ou encore du conflit social et politique. D'ailleurs, les guerres du Liban, du Rwanda ou encore de la Libye en sont des exemples désolants. « Tous ces conflits ont été déclenchés par les médias », a-t-il remarqué. M. Bghouri a rappelé que le rôle des médias consiste à assurer l'observance des politiques et des gouvernements et ce, dans le but de protéger le citoyen et de l'alimenter en informations justes et fondées. « Selon une étude réalisée aussi bien en Asie qu'au Danemark et portant sur la crédibilité des médias et le contrat de confiance qui les relie au public, il s'est avéré que tout public témoigne d'une confiance inébranlable dans le traitement médiatique des thèmes liés à la santé. Faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter ? D'où l'importance du respect infaillible de la déontologie et de l'éthique journalistique », conclut-il. Place à l'encadrement déontologique ! M. Mounir Makni, président de l'Instance nationale de l'Ordre des médecins, a insisté sur les principes-clés d'une corrélation indispensable entre le paysage médiatique et le secteur sanitaire, notamment le respect du secret professionnel et de la confidentialité des dossiers des malades. Quant aux journalistes et communicateurs, ils sont tenus de diffuser des informations certifiées confirmées. Prenant la parole, M. Nouri Lajmi, président de la Haica, a rappelé la déclaration de Munich sur le domaine médiatique, laquelle déclaration consacre 10 articles aux devoirs du journaliste et seulement cinq à ses droits, ce qui en dit long sur la responsabilité de l'homme de médias. En Tunisie, en revanche, l'initiation à l'éthique journalistique se limite à deux heures de cours durant la deuxième année du premier cycle universitaire. L'orateur a appelé à l'encadrement des journalistes tout comme il a recommandé de pallier les difficultés de la profession, dont les maigres salaires, le manque de journalistes et la non-spécialisation. M. Benoit Mathivet, représentant de l'OMS, a souligné la qualité des produits médiatiques traitant des thèmes de la santé. Il a appelé à mieux conjuguer les efforts pour construire une plateforme informative sur la santé et à booster l'évolution du système. Le boom médiatique et les réseaux sociaux : au profit de l'intox La séance plénière a été axée sur deux interventions. M. Mounir Lajmi a évoqué la question relative à la mutation qu'a connue le paysage médiatique après les événements du 14 janvier 2011. Sur le plan juridique, il a été procédé à la substitution de la loi 75 par les décrets 116 et 115. L'ère de la liberté d'expression a ouvert la voie à un boom médiatique sans précédent mais aussi à de nombreuses maladresses. « La concurrence est telle qu'elle légitime en quelque sorte la publication d'informations non fondées, non vérifiées, ce qui favorise la confusion de l'intox et de l'info. Aussi, est-il nécessaire d'instaurer une nouvelle institution, à savoir le Conseil national des médias, lequel veillera sur le respect infaillible de l'éthique journalistique », a-t-il souligné. L'orateur a recommandé, en outre, la mise en place de pactes déontologiques aussi bien à l'échelle nationale que dans chaque média pour inciter les journalistes à se conformer à l'éthique professionnelle. De son côté, Mme Rym Ghachem, représentante de la Cnem, a mis en garde contre la divulgation des informations médicales censées être confidentielles sur les réseaux sociaux et la publication des expertises médicales, appelant les médecins à se confirmer au secret professionnel et les journalistes à faire preuve de vigilance quant à l'exploitation des informations de sources douteuses.