Par Abdelhamid Gmati Il semble, donc, acquis que le déclenchement de la guerre contre la corruption n'a été ni improvisé ni dicté par la conjoncture. Dès sa formation, le gouvernement d'union nationale, fort du Pacte de Carthage, s'est attelé à cette tâche et « des centaines de plaintes ont été déposées par le gouvernement et les institutions de l'Etat auprès des pôles judiciaire et financier, sans que les dossiers ne soient traités avec la rapidité requise ». C'est ce qu'explique le secrétaire d'Etat aux Domaines de l'Etat et aux Affaires foncières, Mabrouk Kourchid, qui évoque un autre obstacle : l'absence de textes punissant la corruption, à part un article datant de l'ère beylicale régissant les faits de corruption et de concussion. « Du coup, nous nous sommes trouvés en état d'incapacité due aux institutions autant qu'à la pénurie de textes juridiques », regrette-t-il. D'où le recours à l'article 5 du décret de janvier 1978 sur l'état d'urgence qui a permis de passer à l'action et de procéder à des arrestations successives et à la confiscation des biens des accusés. Cette guerre qui « sera menée jusqu'au bout » (dixit le chef du gouvernement) vise à traquer et à éradiquer cette hydre de la corruption dans ses moindres capacités régénératrices. Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l'Homme, est explicite à cet égard : « Personne n'est au-dessus de cette guerre déclenchée contre la corruption et les corrompus. Un processus qui n'exceptera personne : ni ministre, ministre chef de parti, ni député et ni tout autre responsable ne sera épargné s'il s'avère impliqué dans la corruption ; la corruption existe, également, au niveau des appels d'offres publics, les dettes contractées auprès des banques ». De fait, les arrestations et les mises en résidence surveillée se multiplient depuis une semaine et on nous annonce que rien n'arrêtera le processus. Et cela touche plusieurs milieux. L'une des récentes arrestations concerne un sécuritaire, le directeur général de la sûreté touristique et ancien chef de la brigade antiterroriste d'El-Gorjani. Cela a concerné aussi des douaniers et des gardes nationaux. L'opinion publique tunisienne appuie sans réserve le gouvernement dans cette guerre, ainsi d'ailleurs que plusieurs partis politiques et organisations nationales. Il est évident « qu'il n'existe pas un corrompu qui n'agit pas sans soutien et sans protection». Faire tomber quelques têtes, barons de la corruption et de la contrebande, ne suffit pas. Car de nouvelles têtes surgiront et les remplaceront. L'une des actions à entreprendre concerne la révision de la législation tunisienne pour être enfin éthique, moins incitatrice à la corruption. Il n'y a qu'à voir le nombre d'autorisations et de documents requis pour n'importe quelle action. Les jeunes entrepreneurs en savent quelque chose. Mais l'on commence à craindre les risques de la généralisation, les risques d'amalgame. L'Utica, tout en appuyant le gouvernement, avait appelé les médias nationaux et l'opinion publique nationale à ne pas généraliser les situations et à ne pas confondre les entrepreneurs qui travaillent dans le respect de la loi et dans la transparence avec ceux qui dépassent la loi. Un appel afin de ne pas diaboliser tous les hommes d'affaires et à ne pas porter atteinte à leur image, ce qui est de nature à nuire gravement à la réputation de la Tunisie et affectera sa capacité à attirer les investissements. Pour le député Hafedh Zouari, « les personnes arrêtées récemment dans le cadre de la guerre contre la corruption ne sont pas des hommes d'affaires ; il s'agit de contrebandiers et de barons de la contrebande et, par conséquent, ils ne sont pas des hommes d'affaires. Donc il est préférable de ne pas les classer en tant qu'hommes d'affaires». De son côté, Lassaad Bachoual, porte-parole de la douane, affirme que « plusieurs douaniers ayant facilité des opérations illégales menées par des affairistes sont visés par la guerre contre la corruption lancée par le gouvernement. Mais l'institution de la douane est en train de combattre la corruption en son sein. Il y a une minorité de corrompus, qui devront payer le prix de leurs pratiques, mais il ne faut pas généraliser et accuser la douane dans son ensemble d'être corrompue ». Les partis politiques, les députés, les journalistes, les magistrats, les fonctionnaires à tous les niveaux sont accusés de corruption. Il y en a certainement, qui ont des choses à se reprocher mais il faut éviter l'amalgame qui est destructeur. Ce qui est demandé c'est la vérité, rien que la vérité. C'est que les faits soient avérés, prouvés.