Depuis mardi dernier, la capitale du califat autopoclamé du groupe Etat Islamique est sous le feu des Forces démocratiques syriennes, qui bénéficient du soutien de la Coalition. La guerre amorce son épisode final... Tous les jours, dans la localité de Aïn Issa, quelque 800 personnes viennent grossir la population des réfugiés venus de Raqqa, si l'on en croit des déclarations faites jeudi dernier par l'ONG Médecins sans frontières. Aïn Issa se situe à moins de 50 km au nord de la ville dont les jihadistes du groupe Etat islamique ont fait leur fief, la capitale de leur «califat»... Cette vague de départs des civils annonçait l'imminence des combats dans la ville avec l'approche de la coalition arabo-kurde. Or, depuis mardi dernier, ça y est : la guerre contre Raqqa est engagée. Et c'est de cette même localité que l'annonce en a été faite : «Nous déclarons aujourd'hui le début de la grande bataille pour libérer la ville de Raqqa, la capitale du terrorisme», a clamé Talal Sello, le porte-parole des Forces démocratiques syriennes (FDS), c'est-à-dire de la coalition arabo-kurde qui mène l'offensive avec l'appui des Américains. L'attaque a été menée sur trois fronts mardi matin : nord, ouest et est. Dans la nuit, des raids aériens de la coalition antiterroriste emmenée par les Etats-Unis avaient balisé le terrain. D'ores et déjà, les FDS occupent un premier quartier situé à l'est, le quartier de Mechleb. L'avancée, dans les prochains jours et les prochaines semaines, devra composer avec trois contraintes : la présence de nombreux civils qui demeurent dans la ville (la population compte aujourd'hui 160.000 habitants, contre 300.000 avant la guerre, selon des chiffres de l'ONU), les mines dont l'ennemi a truffé le parcours et des jihadistes qui vont mener le combat jusqu'au bout parce qu'ils n'ont pas d'échappatoire. Cette bataille de Raqqa se présente en quelque sorte comme le dernier acte d'une guerre contre le groupe terroriste Etat Islamique, dans la mesure où, de l'autre côté de la frontière qui sépare la Syrie de l'Irak, une autre bataille décisive est menée par l'armée irakienne, celle-là à Mossoul, et que Mossoul représente l'autre grande ville que les jihadistes avaient réussi à inclure dans le territoire mis sous leur contrôle. Mais le début de la bataille de Mossoul remonte déjà à octobre 2016 et entame en réalité sa phase finale, tandis que celle de Raqqa vient de commencer et qu'elle cible la tête du monstre, pour ainsi dire. Il faut quand même faire attention : l'empire de l'EI ne sera pas totalement anéanti avec la chute de Raqqa. Il restera des lambeaux dont certains vont se décomposer, d'autres se fondre dans la nature et d'autres encore résister le temps qu'ils peuvent. L'EI reste aujourd'hui présent au sud de la province de Raqqa, dans une partie de la province de Dei-Ezzor et on relève encore quelques poches à Homs, Hama, Alep et Deraa. Mais la dimension symbolique de Raqqa revêt une valeur essentielle. Sa chute, quand elle aura lieu, va marquer la séparation entre deux périodes : celle du califat autoproclamé, même poussé dans ses derniers retranchements, et celle de ses résidus. Question : pourquoi le privilège d'abattre la tête du monstre est-il échu à la coalition arabo-kurde des FDS ? Et qu'est-ce qui lui vaut le large soutien américain dont elle bénéficie, à la fois par le conseil au sol, par l'appui aérien dans ses opérations et par le matériel ? Rappelons à ce propos que ce soutien a donné lieu récemment à une petite crise diplomatique entre la Turquie et les Etats-Unis, Ankara considérant que la composante kurde de la coalition (YPG) constitue un prolongement des séparatistes du PKK turc et que, à ce titre, c'est une organisation «terroriste». La livraison d'armes aux YPG est interprétée comme un acte hostile. Autre question : pourquoi ce soutien occidental ne se traduit-il pas par une plus forte présence sur le terrain de la diplomatie ? En effet, les FDS sont absents des pourparlers qui se tiennent aussi bien à Genève (politiques) qu'à Astana (militaires). Il est vrai que, dès les événements de 2011, les Kurdes de l'YPG se sont tenus à l'écart des actions visant à faire chuter le régime. Ils ont observé une position de neutralité qui les place à égale distance du régime de Damas et de l'opposition. Leur souci depuis le déclenchement de la crise syrienne a été de mener la guerre à l'EI (Kobané, Minbej, etc) et de sécuriser des portions de territoire sur lesquels ils maintiennent un contrôle. Mais les discussions de Genève sont cruciales du point de vue de l'avenir de la Syrie, avec les quatre points qu'elles ont mis à l'ordre du jour : la mise en place d'un gouvernement de transition, la rédaction d'une constitution, l'organisation d'élections et la lutte contre le terrorisme... Et l'on ne comprend pas que les Kurdes de l'YPG, avec leurs alliés arabes, n'y soient pas présents. La clé de l'énigme réside peut-être dans le fait que la coalition, par sa structure ethniquement (et même confessionnellement) mixte, présente un niveau d'immunité élevé par rapport à la tentation terroriste. Les deux grands acteurs de la crise syrienne qui s'affrontent dans les pourparlers de Genève d'un round à l'autre, qu'ils soient soutenus par l'Arabie saoudite (opposition) ou par le couple Russie-Iran (gouvernement proche de la mouvance chiite), sont susceptibles, eux, d'être à nouveau séduits par la carte du fanatisme religieux, et donc du terrorisme, comme moyen de mener la guerre à son ennemi... Le modèle politique que ce groupe arabo-kurde est amené à mettre au point pour gérer sa propre diversité dans son aire d'influence est un modèle que beaucoup jugent nécessaire pour toute la région : donc non négociable. Ni à Genève ni ailleurs. Bien sûr, cela suppose, d'une part, que le scénario d'un pareil modèle ne se démente pas le moment venu et, d'autre part, que les populations ne le rejettent pas.