Afin de célébrer l'adoption, le 26 juillet, de la loi organique contre la violence faite aux femmes, le Centre de recherches, d'études, de documentation et d'information sur la femme (Crédif) a organisé hier une rencontre-débat avec les décideurs politiques et la société civile «Dans le contexte économique difficile que nous traversons, il est bon de pouvoir fêter quelque chose. Il nous est permis de célébrer l'adoption de la loi organique sur l'élimination de la violence faite aux femmes, d'autant plus qu'elle a été votée à l'unanimité par les députés présents à l'Assemblée des représentants du peuple le 26 juillet dernier. Désormais, cette date, comme celle du 13 août 1956, qui a vu la promulgation du CSP, sera marquée pour les femmes tunisiennes d'une pierre blanche», déclare Dalenda Larguèche, directrice générale du Crédif, à l'ouverture de la rencontre-débat d'hier. Une rencontre aux couleurs de la fête qui a rassemblé une centaine de femmes se recrutant dans plusieurs sensibilités politiques et associatives. Des députées comme Yamina Zoghlami, Rym Mahjoub et Imen Ben Mohamed, qui ont travaillé, chacune à sa façon, pour faire aboutir le vote de la loi, ont également assisté à l'évènement, qui s'est déroulé au siège du Crédif, à El Manar. Toutes sont venues pour fêter un texte qui vise à en finir avec toutes les formes de violence faite aux femmes : physique, morale, économique et même politique. Un texte qui criminalise l'agresseur, protège les victimes et responsabilise l'Etat pour leur prise en charge. Il abroge également un « article de la honte », le 227 bis, qui prévoyait l'abandon des poursuites contre l'auteur d'un acte sexuel «sans violences» avec une mineure de moins de 15 ans s'il se marie avec sa victime. La nouvelle loi, a déclaré la ministre de la Femme, de la Famille et de l'Enfance, Néziha Laâbidi, à l'ouverture de la rencontre, est un acquis majeur pour la Tunisie. « Un acquis que seuls trois pays européens ont pu gagner ces dernières années », a fait remarquer la ministre. Des promesses dans la mise en œuvre de la loi Les invitées d'honneur du Centre, Kati Leinonen, premier conseiller à la Délégation de l'Union européenne, et Rym Fayala, représentante du Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) en Tunisie, ont toutes les deux salué l'adoption de cette loi, qui « a été accueillie très favorablement partout dans le monde », a noté Kati Leinonen. Elles ont également promis d'apporter leur appui à la mise en œuvre des différentes dispositions de cette législation très favorable aux droits des femmes, qui s'attaque au phénomène sous une forme multisectorielle et qui aborde la violence d'une manière intégrale et globale, ne négligeant aucun aspect de ce fléau. Si la Délégation européenne semble intéressée par l'aide à la mise en place des centres d'hébergement des femmes victimes, le Fnuap paraît engagé pour travailler sur la sensibilisation aux fondamentaux de la loi et pour former les juges et les intervenants sociaux qui aborderont les cas de violence à l'égard des femmes. Une bataille au long cours La rencontre du Crédif a été inaugurée sous le signe de : « L'aboutissement d'un processus ». Néziha Laâbidi, d'une part et la juriste et militante féministe Hafidha Chekir, d'autre part, ont rappelé le processus d'adoption de cette loi. Si la ministre s'est arrêtée sur deux phases de l'évolution de la loi en faveur des Tunisiennes, à savoir 1956, ou la publication du CSP par Bourguiba, et 1993, ou l'amendement de l'article du Code relatif à l'obéissance de l'épouse envers son mari par Ben Ali, Hafidha Chekir a rappelé la longue et âpre bataille de la société civile indépendante, qui a favorisé le vote historique de la loi intégrale. « Au début des années 90, quand nous avons, dans le cadre de l'Association des femmes démocrates, voulu commencer à travailler sur la violence à l'égard des femmes, nous avons rencontré une large résistance du ministère de l'Intérieur et de la part de différentes structures de l'Etat. Particulièrement lorsque nous avons cherché à coller notre affiche dans l'espace public. On nous disait alors : « Il s'agit de cas isolés. Vous exagérez. Vous n'avez pas à vous occuper de ce problème », se souvient Hafidha Chekir qui s'est exprimée à la fin de la rencontre au nom de la Coalition civile contre la violence à l'égard des femmes, un front associatif formé entre autres de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, Beity, l'Atfd et l'Afturde. L'Atfd a ouvert malgré tout un centre d'écoute des femmes victimes d'agressions, organisé en 1993 un séminaire sur ce phénomène et rédigé un livre la même année, dont la publication a été censurée jusqu'à...2008. « Il est important de rappeler toutes ces stations pour ne pas oublier le rôle joué par la société civile dans l'aboutissement de ce processus », a ajouté Hafidha Chekir.