La fiction «Tunis by Night» d'Elyes Baccar, actuellement dans les salles, lance les prémices d'une rentrée culturelle et cinématographique qui s'annonce riche, certes, mais où la quantité prendra le dessus sur la qualité. Comme c'est le cas souvent, les points forts d'une œuvre demeurent difficiles à déceler, brouillés... A force de vouloir tout aborder, on finit par s'emmêler les pinceaux. «Tunis la nuit », traduction littérale du titre, présenté en anglais cette fois-ci, ne réfère pas à une immersion nocturne dans l'univers de la nuit (comme on pourrait le penser au départ) mais on ne peut pas affirmer que son auteur n'a pas lésiné sur les moyens, afin de donner vie à un long-métrage centré sur un drame familial, sur fond de «révolution tunisienne»... tout ce qu'il y a de plus classique. Oui ! La thématique de la révolution (encore !) a rythmé les événements d'un film retraçant le bouillonnement d'une révolte, celle d'un peuple tunisien rongé par le chômage et qui crie réprime sous le règne des Trabelsi /Ben Ali. La fiction s'est voulue sombre, à l'image de ce mal-être collectif qui plane sur la capitale. (80% du film se déroule la nuit). Noirceur, ambiance pesante, morosité... ce marasme engloutira les personnages principaux forcément en détresse. Le spectateur cherchait à lire la révolution autrement... en vain ! Les ingrédients sont réunis : censure, immolation de Mohamed Bouazizi, révolution en marche, médias dirigés par l'ancien régime, etc. La trame dramatique se focalisera rapidement sur cette famille classique tunisienne en décomposition et tiraillée entre une mère (Amel Hedhili) et son fils (Helmi Dridi), conservateurs d'un côté, et de l'autre, un père, animateur dans une radio, et tenant les rênes d'un programme baptisé « Tunis by Night ». Youssef Ben Younès (remarquablement interprété par Raouf Ben Amor) a soif de liberté, vit mal la censure dont il fait les frais depuis une trentaine d'années et noie sa frustration dans l'alcool. Sa fille Aziza (Amira Chebli) traîne un mal-être familial de plus en plus pesant : à la fois artiste, incomprise et rebelle, elle écume les temples nocturnes de la capitale, les déceptions amoureuses et familiales et se réfugie dans un mode de vie débridé. Cette famille s'effrite à l'image d'un pays s'apprêtant à connaître un tournant décisif de son histoire. De plus près, le spectateur se retrouve broyé par d'innombrables péripéties provoquées par des personnages en détresse : celui de la fille dépressive, suicidaire, artiste, fêtarde, gothique, rebelle et présentée (forcément) comme dépravée émerge plus d'une jeunesse américanisée. Son père, totalement absent, effacé, n'assume pas ses responsabilités de famille bouillonnant tel un volcan en éruption. Eclairé, et révolutionnaire, il finira par sur-agir contre la dictature et en payera le prix. Son fils se veut un peu trop protecteur, en harcelant sa sœur, « aux mœurs légères », d'après lui. Et la maman, dépassée par les problèmes de sa famille, n'a que sa prière comme refuge. Une panoplie de personnages secondaires aux apparitions diverses mais brèves donne momentanément un nouveau souffle à ce film «sombre», qui accumule les endroits clos (bar enfumé, foyer familial comme figé dans le temps, sans vie, l'église Saint-Paul de Tunis de l'intérieur où le père s'est aventuré, en pleine nuit, aux prises avec des tourments existentiels. Ce film, dont on peut voir la fin dès le départ, sauvé en grande partie par ses acteurs, est le 2e long-métrage d'Elyes Baccar, réalisé 13 ans après «Elle et lui», son tout premier. Il vient s'ajouter à l'innombrable série de films traitant la révolution tunisienne sous tous les angles depuis presque 7 ans. Il serait peut-être temps de changer de registre pour plus de distinction.