Sélectionné en compétition officielle des longs métrages de fiction, ce film signé avec brio et doigté, scrute, avec beaucoup de modestie, la condition misérable de deux travailleurs, suant sang, eau et désillusions dans une usine de chaussures. Ces deux êtres dont les sentiers de vie sont glissants marchent à contre-courant des vents fugaces et impitoyables de la vie et des lois rudes du travail. C'est le départ définitif et malheureux d'Hervé (interprété par Philippe Rebbot),simple ouvrier du Nord de la France et plus exactement du Nord Pas-de-Calais, une région où la mémoire de l'immigration a beaucoup souffert. L'usine migre en Tunisie, dans la banlieue de Tunis. C'est Fouad, interprété par Mohamed Amine Hamzaoui, qui accepte de devenir l'ouvrier des semelles, pour soigner sa mère malade. Suivant les traces des deux personnages, ce film avide de rencontres, met en scène deux destins, deux sorts, piétinant ensemble dans deux rives, deux espaces où le mal de rêver n'a pas de frontières. Les semelles de ces usines suivent les lignes de deux trajectoires, de deux rêves déchus entre ciel et terre, taillés par un vent qui soupire secrètement sur ces objectifs éteints et jamais atteints, ces rêves et ces promesses jamais réalisés ; Hervé voulant épouser le mouvement des airs en pleine mer en devenant pêcheur, et Fouad dompté par une fièvre amoureuse, aspire à un avenir meilleur. C'est, en effet, dans l'usine de chaussures que Fouad tombe amoureux de sa bien-aimée, Naima, pensant trouver chaussure à son pied. La chaussure, symbole sexuel, devient un pré-texte de séduction et de sensualité, mais aussi un symbole de domination dans cette usine qui écrase les âmes. Fouad n'accepte donc pas de se laisser marcher sur les pieds pour un salaire minable, des promesses d'ascension et la trahison de sa chérie. Chaussés de malheurs, les pieds de Fouad rejoignent un sol rugueux et poreux, frustrant et violent. La jungle urbaine est la même. La justice n'est pas aussi simple ni en France ni en Tunisie, surtout quand elle est sociale, elle devient infernale. Ces travailleurs, ces gens simples et ordinaires souffrent une même plaie et sont confrontés au même monstre qui est le capitalisme féroce et cruel. Deux pieds dans une même chaussure, ayant les bleus à l'âme et ayant la même forme de vie et de survie, leurs courses s'épanouissent et pâtissent ensemble. A l'issue de ce combat que mènent les deux personnages, contre vents et marrées, la chaussure devient salvatrice, puisque c'est grâce à son ex-petite amie qu'il va émigrer clandestinement en France ; grâce à un camion transportant la cargaison des chaussures. Ainsi, ces semelles vont-elles le détacher de ce sol. Fouad va ressemeler son être dans un ailleurs peut-être plus supportable. Le soleil levant du combat malgré le désir aveugle du vent de balayer les efforts et la sueur des deux personnages est éclatant de sincérité dans ce film. A la fin, Hervé est debout, en plein jour, tenant une pancarte, faisant passer les écoliers. Face à des voitures, ou à des machines, peu importe, l'essentiel, c'est de rester debout face à ce vent chaud et humide qui souffle au gré du désir de liberté. L'avenir est à venir, n'y pensons pas trop. Les personnages sont attachants dans ce film où l'humeur bon enfant et l'humour «adrénalinique», gris et grivois, sont généreux soufflant de l'espoir, détecteurs d'une vision ironique du monde. Le vent allume les grands feux. L'homme du Nord ou du Sud, peu importe, est cet homme solaire diffusant un vent fort, mais aussi lumineux, incarné par les fusées du feu d'artifice qui ouvre et clôt le film où son, lumière et fumée se dissipent dans les vapeurs d'un ciel imperturbable. « Le vent se lève ! ... Il faut tenter de vivre ! » disait Paul Valéry. Walid Mattar Bon vent !