Le ministère des Affaires de la femme, de la famille et de l'enfance souhaite introduire le congé paternité, une mesure très audacieuse L'analyse de la situation de la petite enfance en Tunisie a montré que les enfants en bas âge ne bénéficient pas de conditions favorables à leur développement physique, cognitif et émotionnel. La présence du père dans le projet éducatif serait ainsi indispensable au développement de l'enfant. L'initiative «Papas en Tunisie», lancée depuis août dernier, a alors pour dessein de promouvoir la parentalité positive et le rôle des pères dans l'éducation. Soutenu par l'Unicef, la Banque mondiale, la Suède et la Finlande, le gouvernement souhaite intégrer davantage les pères, une manière de soutenir l'égalité homme-femme, mais surtout «investir dans la jeunesse». La représentante de l'Unicef, Lila Pieters, présente lors de la conférence, a en effet indiqué que l'investissement dans la petite enfance représenterait un gain économique majeur pour le pays puisqu'il s'agit avant tout de «prévenir les problèmes». Si la ministre de la Femme, Néziha Laâbidi, a rappelé que la Tunisie avait l'une des meilleures juridictions en termes de protection de l'enfance, la réalité est tout autre. Avec 33% de signalements d'abus et de négligence concernant les enfants âgés de 0 à 5 ans, la violence demeure une pratique sociale courante, profondément ancrée au sein de la société. L'exemple des pays nordiques La Suède et la Finlande étaient à l'honneur lors de la conférence. Fredrik Florén, l'ambassadeur de Suède, souhaite ériger la question du congé parental comme ordre moral : «Un homme peut tout faire sauf donner la vie, il s'agit de faire ici une société plus égalitaire et plus juste. C'est une question morale». L'égalité homme-femme est en effet au cœur de ce projet. Introduire davantage le père dans le schéma éducatif permettrait de défier les stéréotypes de genre qui attribuent la grande part de l'éducation à la mère. Les pays nordiques, pionniers en termes d'égalité, ont introduit très tôt le congé paternité, la Suède l'ayant proposé en 1974. Les parents se partagent alors équitablement 480 jours avec une prise en charge de 80% du salaire. Le pays voit aujourd'hui 27% des pères prendre leur congé. Quelle place pour le congé paternité en Tunisie ? Si l'initiative du congé paternité motive les pays européens, la Tunisie est-elle prête à emprunter ce chemin? La proposition du gouvernement et les débats associés n'ont pas su convaincre l'audience présente lors de la conférence. Directeurs d'associations et représentants de la société civile sont restés très sceptiques. Une femme qui préféra garder l'anonymat s'est agacée de la proposition de congé paternité, selon elle, irréaliste : «Est-ce qu'on a vraiment envie de donner un congé paternité aux hommes, pour qu'ils aillent passer toute la journée au café ? On n'a pas envie de perdre du temps et de l'argent. Je suppose que la majorité des gens présents dans cette assemblée sont d'accord avec moi». Des applaudissements ont suivi cette déclaration, face aux représentants de la Suède et de la Finlande qui n'ont pu nier le fossé culturel qui les sépare de la société tunisienne. En effet, si les pays nordiques ont pu appliquer des mesures égalitaires, la société tunisienne ne semble pas prête à un tel changement. La virilité en première ligne de mire, «être un homme, un vrai» n'est pas en adéquation avec l'idée du congé parental, initialement réservé aux femmes.