«Comment bâtir, à travers l'art et la culture, une jeunesse qui rêve, qui a des projets et qui a des outils pour les réaliser ? Comment participer à ancrer en ces jeunes la confiance et l'estime de soi dont ils ont besoin et leur inculquer le sens du leadership, le désir d'entreprendre et l'amour du travail ?». Bribes de réponses... Des enfants qui pensent leur école. Une utopie dans le contexte actuel local, dirait plus d'un! Très vrai, sauf que ceci a bien eu lieu dernièrement grâce au programme d'appui Tfanen-Tunisie Créative financé par l'Union européenne. Et l'utopie cessa de l'être... Des élèves âgés de 9 à 11 ans de Sabbalet Ben Ammar et de Jabbès ont eu la chance de réaliser ce rêve dans le cadre du projet «L'école des designers» (Madrasset el Mousammimîn), sous la tutelle du Bchira Art Center. Le concept, le processus... Tout a commencé à partir d'une interrogation : «Comment rêver d'une école meilleure?». Tout a été couronné par des prototypes et une exposition organisée du 10 au 21 février dernier au Bchira Art Center. Mais, surtout, tout est dans le processus, non pas dans la finalité elle-même, en l'objet conçu et c'est ce qui fait toute l'originalité de ce programme. En effet, la vocation de «L'école des designer», nous précise Sarra Belkhamssa, coordinatrice du projet, est d'inciter les enfants à se poser des questions, à répondre à des problématiques et à matérialiser des solutions innovantes et créatives. Pendant deux mois (13 séances à raison de 6 heures chacune), encadrés par des designers professionnels de différentes spécialités, les écoliers ont été initiés à la méthodologie du design, et ce, afin d'améliorer leur capacité de collaboration et de faire germer en eux l'esprit de leadership. La première étape était de déblayer le terrain, d'analyser, de synthétiser, de problématiser et d'interroger l'espace de l'école. Quatre questions ont donc surgi : comment réinventer la cantine ? Comment penser des objets technologiques? Comment repenser les jeux durant la récréation ? Comment apprendre en s'amusant? La seconde étape était de sélectionner et de donner corps aux idées retenues, en appliquant des notions pratiques et conceptuelles, tout en dépassant les contraintes. Des maquettes et des prototypes ont ainsi vu le jour. Apprendre à penser en équipe, à concrétiser une réflexion en mettant à exécution des techniques précises suivant une méthodologie donnée, a été tout l'enjeu de cette expérience et le pari des designers encadreurs. Les initiateurs de ce projet pilote ne considèrent pas ces écoliers comme de simples enfants, mais comme les décideurs de demain à qui on se doit de transmettre des valeurs citoyennes, d'inculquer des compétences spécifiques, de développer chez eux le sens du leadership et le désir d'entreprendre. Réinventer le quotidien scolaire, influer sur l'environnement le plus proche, est le premier pas, et non des moindres, pour former les acteurs d'un changement plus large et plus important. Les perspectives... Pour ce projet, suite il y aura et à plusieurs niveaux. D'abord, «L'école des designers» ne sera plus une capsule d'essai : elle sera rééditée dans d'autres institutions scolaires afin d'implémenter la méthodologie du design auprès des enfants. L'exposition des prototypes réalisés sera itinérante aussi. Ensuite, des pourparlers avec la société civile, les bailleurs de fonds, les acteurs publics et les décideurs sont lancés, nous informe Sarra Belkhamssa, pour écrire un guide des bonnes pratiques dans ce secteur, créer un réseau et introduire la discipline du projet comme une méthodologie de la pensée créative. Une occasion, également, de faire prendre conscience à ces acteurs que des solutions simples avec des méthodes efficientes peuvent être mises en œuvre pour pallier certaines failles dont souffre le milieu scolaire. Mais ce n'est pas tout. La seconde étape de ce projet innovant consiste à travailler avec les instituteurs en leur qualité d'utilisateurs finaux afin de perfectionner les prototypes conçus par les élèves et, éventuellement, de les réaliser grandeur nature. Une occasion pour les écoliers de voir enfin leurs rêves concrétisés. Pour terminer, nous pensons qu'il y a tout intérêt à ce que l'expérience-projet «L'école des designers» soit vulgarisée, à ce qu'elle ait le soutien de l'Etat. Il s'agit d'une opportunité à saisir d'autant plus que la quasi-totalité des encadreurs sont des enseignants-universitaires et donc des pédagogues qui plus est sont éloignés de toute finalité mercantile. Mais il y a tout intérêt aussi, dans le cadre de son expansion, à ce que le cercle des designers-encadreurs soit élargi et plus éclectique dans son appartenance. Ce qui est par ailleurs réconfortant, c'est que les responsables de ce projet sont tout à fait conscients de l'enjeu d'être financés par l'Union européenne, loin d'être un organisme de bienfaisance et dont les actions font partie –et ce n'est qu'un secret de Polichinelle- de la diplomatie d'influence. Une source de financement parfaitement assumée et dirigée vers la résolution de problématiques locales. C'est justement de cette conscience que nous avons besoin. Et c'est important... «Ecole des designer », bon vent !