Par Bady BEN NACEUR Cet ouvrage de Françoise Cloarec, psychanalyste et peintre, diplômée des Beaux-Arts de Paris, avait été, à l'origine, une thèse en psychologie clinique intitulée «Séraphine de Senlis, un cas de peinture spontanée». Il est devenu, non seulement un roman remarquable, mais un film qui a obtenu sept Césars! Surprenant ouvrage puisque, dans nos murs, on ne parle plus d'art et de psychanalyse depuis le début des années 80 —pour ceux qui s'en souviennent!— quand la «nouvelle vague» des anti-psychiatres (issus de l'Ecole de Naples) avaient chamboulé les méthodes coriaces et inhumaines des reponsables de l'hôpital de La Manouba. L'histoire de «Séraphine» (comme celle de Camille Claudel) est une histoire exceptionnelle comme celle de nos peintres naïfs dont on n'entend plus parler du tout. Née dans une famille pauvre de l'Oise, orpheline, sans nom précis, femme de ménage, elle avait tenté de fuir sa situation de mal-vie par le rêve et la prière jusqu'à ce qu'elle découvrît la peinture. De cette «injonction mystique», nous dira Françoise Cloarec, «sortiront du néant des toiles clairvoyantes où les fleurs, les arbres et les fruits, tantôt sensuels ou inquiétants et qui éclataient avec une force incroyable». L'histoire de Séraphine, durant l'Occupation, avait attiré l'attention de beaucoup de monde : cliniciens de renom, humanistes et gens de lettres, mais aussi, le célèbre peintre Pablo Picasso qui, comme pour le Douanier Rousseau, la sauva de l'oubli. Dans son avant-propos, la psychanalyste Françoise de Cloarec déclare que «c'est grâce à la couverture d'un livre intitulé "Dans cette nuit peuplée" que j'ai découvert Séraphine et dont celui de Lucien Bonnafé et Jean Demay qui retrace ces "actes de la résistance à l'oubli" de 40.000 victimes de carences dans les hôpitaux psychiatriques durant l'Occupation de la France». Cet ouvrage, qui fourmille de péripéties dangereuses pour la pauvre Séraphine jusqu'à l'enfermement total dans l'asile, l'empêchant même de continuer à peindre, nous rappelle bien évidemment les mouvements de révolte qui s'ensuivirent, non seulement en France, mais aussi en Tunisie, durant la période coloniale, à l'égard de cet «hôpital des fous» pour tant d'ouvriers, d'intellectuels nationalistes qui cherchaient à se libérer de cette autre «occupation» plutôt criminelle! Et que dire aussi de ces artistes dont on a usurpé le talent pour quelques pacotilles d'argent et que l'on a jetés dans la poubelle de l'Histoire. Et jusqu'à ce jour encore, on essaye de les singulariser, comme la Séraphine, taxant leurs œuvres d'art primitif, naïf, populaire, marginal, médiumnique, irrégulier, outsider, art autodidacte, spirite, atypique, hors norme, peintres des sept dimanches, créations franches, etc.(**) Antonin Artaud, à la même époque, enfermé dans son asile à Rodez, ne disait-il pas : «Dans le monde où je suis, il n'y a ni dessus ni dessous : il y a la vérité qui est terriblement cruelle. C'est tout». Lisez cet ouvrage et vous ne le quitterez pas de sitôt! —————— (*) Aux éditions Phébus, Paris 2008. Cet essai est devenu un ouvrage de référence pour la psychiatrie moderne, reproduit et achevé d'imprimer en 2016. Pour en savoir plus : www.editions.libretto.com (**) Il existe plusieurs musées conscarés à l'art naïf en France, notamment à Nice et deux à Paris.