Par Jalel Mestiri Le niveau de la compétition nationale est toujours intrigant. En dépit de la qualification de l'équipe nationale au Mondial et la distinction de certaines équipes, l'évolution préconisée n'a pas encore atteint les objectifs souhaités. La victoire au-dessus de toute autre considération, sens de l'adaptation et discours mobilisateurs, il est aujourd'hui de plus en plus question de réinventer en profondeur les règles du jeu, sans le moindre souci pour l'esprit du jeu. Chez nous, comme partout ailleurs et dans la plupart des championnats, les tendances vont clairement dans le sens inverse. L'obligation de résultat, sans cesse croissante, ne fait qu'accentuer la nécessité de grappiller tous les points possibles. Dans cette situation, l'hypothétique point du match nul vaudra même plus que les supposés inaccessibles trois points de la victoire. Et tant pis pour le football... Pourtant il y a des équipes qui ne cessent de démontrer qu'il est largement possible de progresser. Plutôt que de prendre les solutions faciles et de défendre plus pour gagner un peu plus, elles font le choix de l'audace. C'est ainsi qu'on a de plus en plus l'impression de ne plus jouer dans la même cour. Des équipes comme l'Espérance, l'Etoile, le Club Africain, le Club Sportif Sfaxien n'ont plus la même vocation. Sur le terrain, elles n'ont plus la même motivation. Leurs arguments et toute leur raison d'être ont d'autres noms, d'autres significations. A l'exception de l'EST, championne en titre, et de prestations épisodiques de certaines autres équipes, le jeu pratiqué est réduit à son plus simple appareil : on bétonne devant les buts, et on balance devant dès la récupération pour des contre-attaques éclairs mais rarement inspirées. On distingue, brièvement résumée, chez le CA et l'ESS, qui jouent pour la deuxième place, une tendance opposée à ce qu'on avait l'habitude de voir, d'apprécier et même de bénir, et qui consiste à prendre le jeu à son compte. En renonçant au jeu, dans cette innovation tactique faite de restriction, de réticence et de réserve, on ne voit plus, ou presque, des équipes comme le CSS, le CA et l'ESS conserver le ballon, imposer un rythme et proposer un beau football. Au-delà des objectifs à atteindre, ces équipes préconisent, contrairement à leur statut et à leur vocation, une stratégie visant moins à gagner, qu'à faire perdre ses repères à l'adversaire. Et c'est toute la base de ce renoncement, notamment lorsqu'elle est menée avec insignifiance et imperceptibilité. Bertrand Marchand n'avait pas cessé de le confesser durant son bref passage au sein de l'équipe clubiste : «Nous n'avons pas d'autre choix que de jouer ainsi », comme si la deuxième place était interdite au CA alors qu'il en a pourtant les moyens. Nous continuons de voir des entraîneurs d'équipes ayant le profil de jouer les premiers rôles imposer encore une ligne de cinq défenseurs et justifier cela par un chimérique apport des latéraux... On voit de plus en plus moins les équipes, jouant aujourd'hui pour des places qualificatives aux compétitions africaines, développer une stratégie et une véritable identité de jeu. Cela peut paraître contraignant, et pourtant il s'agit de se projeter sur le long terme et d'anticiper les mutations sur des années. Un rôle que seuls quelques entraîneurs, mais aussi dirigeants visionnaires, peuvent sans doute assumer. Ce n'est pas le cas des responsables techniques des équipes jouant actuellement pour le maintien. Les contraintes auxquelles ils sont exposées ne leur permettent plus de peaufiner ni les tactiques ni les formations. Ils ne sont plus en mesure d'user d'une large palette, ni de jeu, ni d'attitude. L'apport des ces hommes est synonyme d'apport en stabilité. L'arrivée des présidents avec des fonds limités a eu pour effet une forte déstabilisation de la plupart des clubs. Certains ont cependant cédé à une folie dépensière même si les revenus diminuent de plus en plus. Cette assertion est une bonne manière de résumer les profonds changements qui ont eu lieu dans le football tunisien. Au-delà des résultats et des objectifs à atteindre, places qualificatives aux compétitions continentales pour les uns, maintien pour les autres, la persistance des déficits observés dans les budgets des clubs impose une restructuration, notamment l'impératif de valoriser les clubs, d'ajuster leur capital, de trouver des fonds propres. Tout va vraiment très vite dans le football tunisien. L'histoire de la ‘'singularisation des pensionnaires des terrains a complètement changé la donne. Elle a modifié les traditions, les contextes et les conditions de jeu. Un nouveau monde, de nouveaux acteurs.