Avec «Wajib» ou «L'invitation au mariage», Annemarie Jacir s'enfonce encore plus dans les méandres des territoires et de la cause palestinienne. Après une tournée dans des festivals internationaux, le film est sorti en France en février et vient de sortir à Beirut. Il est projeté dans l'unique cinéma d'art et d'essai de la ville, créé par la «Metropolis Art Cinema Association», dirigée par Hania Mroué et qui compte parmi les membres de son conseil le réalisateur Ghassan Salhab. Ce cinéma fait partie du «Réseau d'écrans alternatifs arabes» (Naas), au même titre que 20 membres et affiliés, entre salles de cinéma, ciné-clubs, centres culturels et distributeurs du monde arabe, dont, en Tunisie, le CinéMadArt, la Fédération tunisienne de ciné-clubs et Hakka Distribution. Quant à «Wajib», le public tunisien pourra peut-être le voir aux prochaines Journées cinématographiques de Carthage, au même titre que les précédents films de la réalisatrice et poétesse palestinienne : «Le sel de la mer» (2008) et «Quand je t'ai vu» (2012). «Wajib» place sa caméra à Nazareth, en pleins territoires occupés depuis 1948. Il explore la complexité de la cause palestinienne de l'intérieur à travers un « conflit » palestino-palestinien, représenté par un père et son fils, interprétés comme il est de coutume chez Annemarie Jacir par les comédiens Mohamed et Salah Bakri. Le premier, Abou Shadi, est maître d'école et le père du second, architecte vivant à Rome depuis des années. A l'occasion du mariage de sa sœur, Shadi est de retour pour aider dans les préparatifs, dont un aspect important est la distribution des cartons d'invitation, de main propre et en faisant le tour des maisons, à la manière traditionnelle à Nazareth. S'ensuivent des retrouvailles teintées tantôt de sincérité, tantôt d'hypocrisie, sous le signe du «Wajib», ou le devoir envers la famille, les voisins et les connaissances. Ce tour qui semble interminable et inutile pour Shadi est crucial pour son père. Une divergence de points de vue qui ira en crescendo au gré des visites, pour révéler d'autres différends plus profonds et plus originaux entre le père et le fils, dans le cadre symbolique de Nazareth. La ville a été plusieurs fois portée au cinéma, entre autres par un cinéaste palestinien majeur qui y est né, Elia Suleiman, où il a filmé «Le temps qu'il reste» en 2009. Justement, dès les premiers plans de «Wajib», l'on a l'impression qu'Annemarie Jacir se Elia Suleimanise, surtout avec le rythme saccadé des images qu'on lui connaît. Mais voilà qu'apparaît à l'écran le comédien Tarek Kobti, qui a joué le rôle du fameux voisin dans «Le temps qu'il reste». Le clin d'œil au cinéma d'Elia Suleiman est désormais affiché et il ressort à plus d'une reprise dans «Wajib», jusqu'au plan final, sans toutefois dominer le film qui bifurque rapidement pour suivre un rythme plus lent et un cadrage plus personnel. Avec ce film, et à la différence de «Le sel de la mer» et «Quand je t'ai vu», Annemarie Jacir n'est ni dans la nostalgie ni dans la rêverie, mais opte pour un réalisme du début jusqu'à la fin. Elle ose et franchit de nouvelles barrières en évoquant les tabous des divergences palestino-palestiniennes et de la mère absente. Et il y a comme une teinte triste devant le constat amer filmé dans «Wajib», qui,on l'espère, ne virera pas à la résignation.