Après huit ans d'absence, la diva de la chanson tunisienne sera de retour sur la scène de Carthage le 21 juillet. Amina Fakhet est impatiente de retrouver son public et promet de lui présenter un grand spectacle malgré les désagréments qu'elle a connus à cause de certains responsables à quelques jours de sa prestation. Entretien. Le samedi 21 juillet, vous serez sur la scène du théâtre romain de Carthage après 8 ans d'absence, que signifie pour vous ce retour ? Avec ce retour j'ai voulu réaliser un rêve de jeunesse. J'ai toujours rêvé de faire un grand spectacle chorégraphié avec de la danse et de la musique. Marcel Khalifa me disait «tu es une bête de scène, tu bouges beaucoup...». J'ai toujours rêvé de faire un grand spectacle à l'image de mon pays. Je reste toujours convaincue que nous avons un grand pays. Malheureusement, il y a des gens qui n'en connaissent pas la vraie valeur. Personnellement, j'ai grandi dans l'amour de la patrie. Ma mère m'a élevée dans ce profond sentiment d'appartenance. Dans ce spectacle qui marquera mon retour, je vais donner tout ce que j'ai comme d'habitude. C'est aussi un retour avec quelques nouvelles chansons et une chanson du patrimoine et à laquelle je vais donner une nouvelle touche. Les nouvelles chansons sont de Mohamed Lassoued et de Mohamed Sadok le poète et compositeur libyen. Il y a aussi trois autres chansons de Ahmed Mejri ainsi que les chansons connues par le public. Entre 1988 et 2000, vous avez chanté avec simplicité sur scène mais après, vous avez fait dans le spectacle et la représentation à la Tina Turner en quelque sorte. Pourquoi ce changement ? Est-ce un caprice de diva ou un choix artistique ? Je ne sais pas... Mais je dirais que parce que j'entre rapidement dans une sorte de transe et cela m'influence beaucoup sur scène. C'est un côté que je n'arrive pas à contrôler. Je suis à l'écoute de mon esprit et de mon corps, je ne calcule vraiment rien. Des fois, j'en suis moi-même étonnée. Il y a une ambiance et un magnétisme presque magiques qui s'installent entre moi et le public et me donnent l'impression que je suis dans un autre monde. Il m'arrive de rester quelques jours à l'hôpital après mes grands spectacles... On croit savoir qu'à quelques jours avant le spectacle, il y a eu un malentendu avec la direction du festival de Carthage... En effet ! Et pour moi, cela pose un problème. En fait, au début, je me suis mise d'accord avec Mokhtar Rassaâ sur un budget qui m'a été proposé et que j'ai accepté. A la lumière de ce budget, j'ai engagé les musiciens et j'ai fixé tous les éléments du spectacle. Cet accord date d'il y a trois mois. Mais voici qu'à la dernière minute, on m'annonce que le budget est revu à la baisse alors que j'ai signé un contrat avec l'agent en charge. Il y a 60 musiciens à part l'équipe technique parce qu'il s'agit d'un grand spectacle. Voilà la situation ! Et pourtant c'était le budget que la direction elle-même a proposé. Je me retrouve devant le fait accompli et je ne peux pas trahir mon public que je respecte beaucoup. j'ai forgé mon nom avec beaucoup de souffrance et je peux l'affirmer haut et fort que personne ne m'a aidée ni Ben Ali ni autre. J'ai donné de ma vie et de ma jeunesse pour en arriver là. C'est pour ce pays que j'ai refusé des propositions au Liban et en Egypte qui font rêver tous les artistes. Ce qui m'a profondément choquée, c'est le manque de respect des responsables vis-à-vis des artistes. Le fait que le ministère des Affaires culturelles ait refusé ma proposition est complètement de l'intox. J'ai accepté le budget qu'ils ont eux-mêmes proposé, pour venir me dire, après 3 mois, que le ministre n'était pas d'accord. Ma seule réaction qui est tout à fait logique était de dire : pourquoi à quelques jours avant le spectacle après avoir engagé toute cette équipe ? J'ai vraiment souffert de ce manque de respect mais je ne trahirai jamais ce public et je le ferai, ce spectacle ! Malgré vents et marées, j'offrirai ce qu'il y a de mieux à mon public. Il y a une très belle histoire d'amour entre moi et lui que je préserve depuis des années. Mais jusqu'à quand on va sous-estimer les compétences dans notre pays ? Pourquoi cette absence de huit années entières ? Sincèrement, je n'aime pas l'hypocrisie... Et puis, il y a beaucoup d'ambiguïté, beaucoup d'opportunistes qui ont profité des événements... Et puis, il ne faut pas mettre tout sur le compte de la pauvreté et de la nécessité...personnellement, j'ai vécu la pauvreté et j'ai travaillé dur pour m'en sortir... J'ai l'impression que je suis née à une époque qui n'est pas la mienne. J'ai connu Mohamed Abdelwaheb et c'est lui qui m'a introduite auprès de Ammar Echerii et Baligh Hamdi... C'étaient de grands artistes... J'ai vécu des émotions et des découvertes artistiques incroyables dans ma vie et dans ma jeunesse... A l'âge de 17 ans, je chantais avec Wadii Essafi et Najah Salam dans le plus grand cabaret de Paris sur les Champs-Elysées. Tout ce long vécu fait que je ne peux pas accepter n'importe qu'elle chanson ne serait-ce que pour faire du nouveau ! Et malheureusement il n'y a plus de grands compositeurs dans le monde arabe pour les textes aussi, il faut chercher longtemps... D'aucuns pensent que cette absence est due au fait que vous étiez déçue par ce qui s'est passé en Tunisie en 2014 ? Pas du tout ! Au contraire, j'étais fière de ce qui s'est passé mais la politique n'est pas mon fort. Même quand Ben Ali a assisté à mon spectacle, c'était pour gagner la sympathie du public parce que je suis l'artiste du grand public. Ben Ali est venu en spectateur et il ne m'a jamais accordé le moindre privilège : ni maison ni propriété... Je suis une artiste tout à fait indépendante, je n'ai jamais rien eu à avoir avec la politique, la seule chose qui m'importe, c'est la bénédiction de ma mère ! Je n'appartiens à personne ni à Bourguiba, ni à Ben Ali, ni à ceux qui sont venus après... J'appartiens à mon art ! J'appartiens aux belles choses de la vie, à l'amour et à l'espoir. Vous continuez tout même à croire en l'amour dans tout ce fatras qu'est devenu le monde ? Bien sûr ! Dieu est amour ! Heureusement qu'il y a l'amour ! Le monde est devenu fou, c'est pour ça qu'on a encore besoin d'amour. Malheureusement, le monde a changé aujourd'hui même la conception de l'amour a changé. Il n'y a plus cette énergie positive dans l'amour, cette fidélité, ce don de soi comme autrefois. Les gens ne savent plus aimer aujourd'hui ! Tout est éphémère... Le véritable amour, moi j'y crois et j'espère le vivre un jour même à mon âge. Pour moi, l'amour c'est l'intensité ou rien ! Votre fille Molka sera avec vous sur la scène de Carthage. Vous avez dit qu'elle a de l'avenir est-ce à dire que c'est une petite Amina, une petite Dhikra Mohamed une petite Adèle ou une petite Aziza Jalel ? Je dirais qu'elle est «pire» que Amina ! C'est une artiste née. Elle a une excellente capacité de voix. Elle a elle-même choisi de faire la carrière de chanteuse tout en continuant de faire ses études. Malheureusement, elle ne chante que des chansons occidentales. Ce sera sa première rencontre avec le public. Et si je lui ai donné cette chance, c'est parce que je trouve qu'elle a vraiment quelque chose à donner. Un jour j'espère qu'elle va chanter en arabe. Vous avez déclaré que vous avez de l'oreille... Quelles sont les voix qui vous ont marquée dans la nouvelle génération ? Nous avons des voix extraordinaires en Tunisie, des voix qui ont de l'avenir. Je cite à titre d'exemple Aya Daghnouch que j'ai découverte à l'âge de 15 ans et qui est en train de faire son chemin. Mais il ne faut pas que ces voix qui sont précieuses en Tunisie et qui appartiennent à des jeunes périclitent et soient jetées aux oubliettes. Il faut qu'elles soient bien encadrées. Je pense que dans quelques années je vais créer une société qui coache les jeunes artistes et qui les lance. Je veux leur faire profiter de mon expérience tout comme j'ai fait avec ma fille.