Par Khaled TEBOURBI Retour, donc, en trombe de Amina Fakhet à «Carthage». Des retrouvailles avec le public, surtout. Au plus fort même de sa carrière, fin 80 et début 2000, la chanteuse n'avait attiré de telles foules ni suscité un tel enthousiasme. Réussite commerciale, sans conteste. Nonobstant les tarifs...et le contexte que tout le monde juge difficile. Deux soirées(dont une «à compte d'auteur»), à guichets fermés, alors que les gradins sont à cinquante dinars et les chaises à 80, représentent un record difficile à égaler pour n'importe quel artiste local. «Nouba», seule, avait fait pareil début 90. Hormis cela, on n'a pas souvenir qu'un des nôtres ait à ce point pris d'assaut le théâtre romain. Pourquoi ce déferlement ? La popularité de Amina Fakhet demeure intacte. C'est une grande artiste, et c'est une réputation que huit longues années d'interruption n'ont visiblement pas entamée. Il y a eu, en plus, le côté nostalgie. Le public des festivals n'a sûrement pas changé en moins d'une décade. Les tubes «d'avant-la révolution» résonnent encore dans son écoute : «Walla marra», «Alallah», «Soltane hobbek» et bien d'autres, d'irrésistibles, reconnaissons. Des mélodies, qui plus est, au regard de beaucoup d'entre nous, en rapport avec des temps «autrement plus sereins». La politique et la psychologie ont également joué les 21 et 24 juillet derniers à «Carthage». Pas que Amina seule, pas que les chansons et la musique de Amina, pas que la réputation intacte de Amina. Inconsciemment, peut-être, mais ils ont «pesé», à notre avis, dans le choix des milliers et milliers de fans accourus. Le lien, croyons-nous, ne pouvait ne pas se faire avec les «difficultés du moment».Avec (conf. les sondages) «le pessimisme ambiant».Payer 50 ou 80 dinars pour un concert est excessif, inconséquent même à l'heure qu'il est, mais les déprimes, on le sait, entraînent presque toujours des boulimies. On s'est bousculé aux portes de «Carthage» les 21 et 24 juillet derniers, on s'est arraché les billets, sûrement encore par souci d'oublier, par besoin de compenser. Spéculation, peut-être : mais l'après-14-Janvier eût été meilleur, le retour de Amina Fakhet à «Carthage» eût probablement fait moins de bruit. Fût-ce encore une réussite artistique ? Nos confrères, pour la plupart, ont dit oui. Autre «empressement».Créer l'événement est une chose, atteindre à la qualité en est une autre. Disons que la joie de célébrer un retour a submergé tout un chacun. Le «buzz», encore, sans doute. Une évidence devait être soulignée à notre avis : c'est qu'après huit ans d'arrêt, Amina Fakhet ne pouvait plus être la même au chant. Et qu' à cela rien ne suffit plus : ni d'entrer en émoi ni de crier au génie. Simple, naturel : après tout ce temps passé à ne rien faire, la voix de Amina s'est épaissie, le souffle s'en est écourté. Et il y manque les aigus complets, les bons vieux aigus complets. En somme, le meilleur de Amina n'est plus «en fonction».Le meilleur de Amina, c'était fin 80, c'était début 2000. En ces années, elle se contentait de chanter comme elle le savait, comme elle le pouvait, c'est-à-dire à des hauteurs de «diva».Ce n'est que lorsqu'elle sentait qu'elle ne pouvait plus le faire que ses «tours de chants» se sont transformés en «exhibitions». Amina le reconnaît elle-même. Elle est parfaitement honnête et avisée en cela. Conclusion : le vrai retour de Amina Fakhet, c'est demain. Ce sera quand le «délire» des retrouvailles sera passé. Quand il sera vraiment temps de se remettre au travail : de renouveler un répertoire, et de renouer avec un chant de performance et de beauté. Amina n'a jamais compté ni ne comptera jamais encore pour la musique tunisienne qu'à ces niveaux.